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dont la porte se trouva fermée contre toute attente. Nous suivîmes alors le mur. Parvenu à un endroit où un monceau de gravois, négligemment laissé au pied de la muraille à demi écroulée, permettait d’arriver à portée d’un poirier chargé de fruits, mon frère me fit gravir cette espèce d’échelle, et, m’exhaussant de son mieux, me provoqua gaiement à cueillir les plus belles poires. J’en tenais déjà deux dans mes petites mains, lorsque, appelé soudain par mon père, Godfrey redescendit la petite éminence d’un pas aussi rapide que le lui permettait son précieux fardeau. Arrivé en bas, il me déposa par terre, toujours nantie de mes deux larcins, et me laissa là, fort embarrassée de moi-même. J’aurais volontiers pleuré, ne sachant comment regagner la maison; mais justement alors apparut la femme de chambre de ma mère, qui, à la vue des poires, poussa une clameur indignée. — C’était bien là un tour de M. Godfrey !... Il avait grimpé sur le plus bel arbre du jardin au risque de le briser, et cela pour mettre au pillage les fruits favoris de son père!...

— Non, m’écriai-je aussitôt, Godfrey n’est pas monté à l’arbre! C’est moi qui ai cueilli les poires.

— Vous?... vous, petite menteuse! reprit la sévère Wilkins, qui réservait toutes ses complaisances pour Emmeline, et n’avait jamais pour moi que des paroles aigres ou des punitions outrées... Vous n’êtes pas assez grande pour y atteindre... C’est un conte que vous faites, et prenez garde à ce qu’il peut vous valoir, si vous ne le rétractez à l’instant même.

Je m’entêtai naturellement à soutenir que j’avais dit vrai. Wilkins voulut voir dans mon obstination une perversité précoce qu’il fallait châtier. Elle me conduisit devant ma mère, qui, malgré mes protestations, — que je n’appuyais, il est vrai, d’aucune explication satisfaisante, — me jugea coupable et prononça contre moi la peine de la prison. Pénétrée de l’injustice qu’on me faisait, je me débattis contre les domestiques chargées de me conduire; il fallut céder à la force, et je fus mise au lit, avec ordre de m’endormir sur-le-champ. Wilkins me faisait si grand’peur, que, tout en pleurant, je fermai les yeux. Bientôt elle put se croire obéie; mais le sommeil n’était pas venu, et j’entendis un débat assez vif qui s’engagea, dès qu’on me crut endormie, entre la femme de chambre de ma mère et la bonne Jane Hickman, plus spécialement attachée à ma petite personne. Leur débat, dont j’étais l’objet, m’apprit que Godfrey était allé, dès son retour à la maison, s’expliquer avec sa belle-mère, et qu’il avait été « très insolent» pour elle, du moins à ce que prétendait Wilkins. — Croiriez-vous, ajoutait-elle, qu’il a bien osé lui dire que si la porte du verger était fermée, ce n’était pas pour le plaisir de Drake ?...