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sommes bien loin de lui faire un reproche de cette légère métamorphose, car nous sommes de ceux qui trouvent qu’elle lui a réussi ; ses facultés naturelles se sont délivrées des entraves factices qu’il s’était imposées, et, s’il n’a pas gagné en élévation, il a beaucoup gagné en étendue et en hardiesse. Ses dernières œuvres sont le résultat d’une fusion habile entre ses anciens principes littéraires et les principes inaugurés depuis son avènement à la scène. Le champion le plus intrépide de la réaction anti-romantique vient de donner lui-même un gage à la cruelle nécessité du temps et aux caprices de la mode, et ce gage a été naturellement une œuvre éclectique. Nous n’avons rien dit de la pièce intitulée Ce qui plaît aux Femmes, et vraiment nous aimerions à n’en rien dire. Il est toujours pénible d’exprimer un jugement trop dur, et un des devoirs de la critique, à mon avis, est de l’épargner aux hommes de mérite, lorsqu’elle peut le faire en toute sécurité et sans que les intérêts de la vérité aient à en souffrir. M. Ponsard a voulu, en une seule enjambée, rattraper, dirait-on, tout le terrain perdu depuis qu’il a déserté la scène, et franchir d’un seul bond l’intervalle qui sépare l’imitation du théâtre classique des inventions scabreuses de M. Dumas fils. Comme pour exécuter ce bond il ne se fiait pas à ses propres forces, il a prié la fantaisie de lui prêter ses ailes. Les ailes étaient mouillées sans doute, car le poète n’a pu prendre son essor et a été obligé de marcher pédestrement avec ses ailes aux épaules, tout semblable à un sylphe qui, ayant rencontré une atmosphère trop lourde pour la puissance de son vol, aurait jugé prudent d’aller à pied : spectacle vraiment original! Tout ce que je veux dire de cette œuvre malheureuse, c’est qu’elle est inspirée par l’éclectisme dont nous parlons. Elle a trois petits actes, et chacun de ces actes correspond à un système littéraire différent; le premier révèle une lecture assidue des classiques et surtout de Molière, le second essaie de balbutier la langue des féeries de Shakspeare, le troisième est un hommage rendu au réalisme moderne. Ce troisième acte, le meilleur des trois, est vraiment en son genre une merveille. Parlez-moi de l’ardeur des nouveaux convertis ; il n’est rien de tel que les néophytes pour proclamer la gloire des vérités qu’ils ont méconnues. Dans ce dernier acte, M. Ponsard a osé plus que n’a jamais osé M. Dumas fils, car il a transporté sur la scène, dans toute sa hideur, un certain personnage que nos pères ont toujours dissimulé sous des formes plus ou moins avenantes, et qui ne se rencontre avec son vrai visage que dans les satires de Régnier. Quand on prend du réalisme, on n’en saurait trop prendre, a sans doute pensé M. Ponsard. Que n’a-t-il fait le même raisonnement au second acte, et ne s’est-il pas dit que lorsqu’on fait de la fantaisie, on ne saurait craindre l’excès ! Nous ne voulons pas insister davantage sur cette erreur d’un homme qui a eu l’honneur de trouver le quatrième acte de Charlotte Corday ; tout ce que nous avons voulu, c’est constater, par la dernière œuvre du champion le plus renommé de la réaction anti-romantique, cette tendance à la conciliation des doctrines contraires et à l’éclectisme dramatique, qui, nous le croyons, va devenir pendant un certain temps au théâtre moderne la note dominante.

Mais que dis-je? cet éclectisme gouverne déjà au théâtre, où il a inauguré son règne par les succès de M. Octave Feuillet, qui deviennent de véritables triomphes. Le talent de M. Feuillet est en effet, sous une forme exquise et