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sont divisés sur une multitude de points, sur les tendances, les principes, les moyens d’action; les uns comme les autres se trouvent néanmoins rapprochés sur le terrain de la politique extérieure. Forcés de s’y rencontrer, ils sont, par une réaction inévitable, amenés à des compromis sur les questions de politique intérieure. Si le parti libéral sait se servir de ces dispositions conciliantes, il pourra les faire tourner au profit des idées de réforme et des institutions parlementaires. Il faut qu’il se pénètre fortement de cette croyance que dans les idées qu’il représente gît la véritable force des nations, qu’on n’obtient qu’avec elles les triomphes durables et la véritable sécurité. Renonçant aux chimères des doctrinaires allemands, qui usent leurs forces à la poursuite de l’unité ou d’un idéal politique irréalisable, ils doivent se contenter des résultats qui sont à leur portée; unis avec le gouvernement prussien, ils peuvent imprimer à la politique de la monarchie du nord une attitude plus franche, lui inspirer des résolutions plus logiques, diriger ses alliances dans le sens le plus favorable à leurs propres desseins; assurés de la Prusse, ils entraîneraient les autres états de l’Allemagne dans un mouvement que les résistances princières n’auraient plus le pouvoir d’entraver. Une action de ce genre peut seule faire diversion aux préoccupations actuelles d’un grand peuple, qui oublie ce qui se passe chez lui pour regarder constamment au-delà de ses frontières. Inquiet et honteux de ses inquiétudes, devenu le jouet de passions qu’il ne peut ni maîtriser ni satisfaire, il ne cherche plus assez dans sa propre volonté le secret de ses futures destinées. Dans de semblables circonstances, les hommes sensés du parti libéral allemand ne peuvent songer à des réformes radicales, au renouvellement complet de l’organisme fédéral. On voit les personnages les plus connus du parlement révolutionnaire de 1848, d’anciens ministres du vicaire de l’empire, accepter un rôle modeste dans les assemblées politiques de leurs provinces, et après avoir tenté de soulever un monde, exercer aujourd’hui leurs forces dans l’opposition constitutionnelle la plus restreinte. Leur abnégation actuelle portera peut-être plus de fruits que leur ambition passée. Les craintes des souverains, obligés de chercher un appui nouveau dans l’opinion de leurs sujets, peuvent faciliter leur tâche, et s’ils réussissent, dans chacune des parties du vaste territoire germanique, à faire triompher complètement les véritables principes du droit constitutionnel moderne, ils auront fait don à leur pays d’un bien préférable à cet empire qu’ils avaient rêvé. Tant que l’Autriche et la Prusse subsisteront, l’aigle allemand sera un aigle à deux têtes, et il sera plus raisonnable en même temps que plus utile au-delà du Rhin de parler de liberté que d’unité.


V. DE MARS.