Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une place éminente. Que sont devenus ces amis de la paix dans la tempête actuelle? Pourquoi leur voix ne s’élève-t-elle pas au-dessus du concert bruyant des foules et des partis?

Les ennemis de l’Autriche, qui pendant si longtemps avaient manifesté des sympathies ouvertes pour les nationalités, les sentent aujourd’hui faiblir. La nationalité allemande devait, à les entendre, rompre les liens artificiels qui l’avaient attachée à d’autres races et se maintenir vierge de leur contact. En ce moment, on paraît trouver qu’il y aurait trop d’abnégation à resserrer les frontières de l’Allemagne, quand d’autres puissances reculent leurs limites. Les Allemands voient la Russie toute disposée à faire jouir de ses institutions les Grecs et les Turcs de l’empire ottoman aussi bien que les habitans des principautés danubiennes, la France agrandie en Europe et fondant un grand empire sur le continent africain, l’Angleterre maintenant son autorité sur tous les points du globe avec une indomptable énergie. La jalousie et la crainte réveillent par degrés les instincts belliqueux et dominateurs qui sommeillent sournoisement dans l’âme de toutes les races. Il ne saurait d’ailleurs échapper à quiconque a pénétré dans le caractère allemand qu’il y a peu de races aussi avides de domination que la race germanique. Ce n’est pas dans les documens diplomatiques qu’il faut chercher l’expression de ce sentiment, c’est dans les productions de la littérature, dans la poésie, dans les œuvres où la passion se révèle avec des allures spontanées. L’érudition et la science historique se sont préoccupées de donner une sorte de consécration à cet instinct jaloux. Qu’est-ce que l’histoire des temps modernes du savant Gervinus de Heidelberg, sinon l’oraison funèbre des races latines et l’apothéose des races germaniques? Aux yeux des partisans de la grande Allemagne, qui représentent, bien mieux que les adhérens du parti de Gotha, les traditions et les passions populaires, l’Autriche tient une très grande place dans l’accomplissement des destinées de la grande famille allemande. Ceux même qui ont été amenés à reconnaître avec des regrets mal déguisés les droits de l’Italie à l’indépendance nationale ne sont point disposés à étendre un semblable privilège à ces races nombreuses, dont quelques-unes à demi barbares, qui remplissent la vallée du Danube; ils sont fortement persuadés que toutes ces populations ne peuvent être initiées à la civilisation moderne que sous la tutelle de l’Allemagne, qui les empêche d’être noyées dans cet océan slave si menaçant pour l’Europe.

En étudiant séparément l’action des gouvernemens germaniques et des partis qui se disputent la faveur populaire, on se trouve conduit à des résultats à peu près identiques : les uns comme les autres