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d’hui elle se rapproche de sa rivale à la dernière heure, c’est qu’elle est inquiète pour elle-même. — Triste état que celui d’un pays où toute l’intelligence politique s’épuise dans des luttes et des discordes continuelles, où elle s’use et se dévore en quelque sorte elle-même sans se féconder ni laisser de fruits durables!

Le mal dont souffre l’Allemagne n’est pas nouveau, et la crise de 1860 n’est pas la première qui le révèle. Les agitations et les angoisses de cette grande nationalité, qui occupe le cœur même de l’Europe, ont leur origine dans la contradiction qui éclate entre les vœux, les ambitions, les espérances mêmes du peuple allemand et les formes politiques que l’histoire lui a léguées, et qu’il ne s’est jamais senti le courage de briser. L’unité allemande, réalisée dans les arts, les lettres, les sciences avec un tel éclat et une si incontestable grandeur, rencontre dans le domaine des faits d’insurmontables difficultés. Autant la pensée a de hardiesse, autant l’action subit d’entraves. Tandis que la philosophie et le génie littéraire ont de sublimes élans, la politique ne se meut qu’avec timidité, à travers des écueils sans nombre, avec des précautions infinies, sans savoir le but où elle tend. Cette opposition, qui longtemps ne s’est trahie que par de sourds mécontentemens, éclate aujourd’hui; elle est sentie avec d’autant plus de vivacité que les puissances européennes, arrachées à ce long calme auquel une paix de quarante ans les avait accoutumées, cherchent maintenant à se fortifier par tous les moyens, et se montrent toutes préoccupées d’agrandir leur influence. L’Allemagne a vu les grandes puissances tirer deux fois l’épée pour vider leurs querelles. Spectatrice muette et presque dédaignée, elle n’a pu se mêler au combat, et le seul de ses membres qui ait pris part à ces luttes gigantesques en est sorti vaincu et humilié.

Non-seulement l’Allemagne est persuadée que son organisation actuelle ne suffit pas à satisfaire son ambition politique, elle semble même la croire impuissante à garantir sa sécurité; mais, dans son désir de la changer, elle ne sait par où commencer et ignore à qui elle confiera cette difficile mission. Au lieu de s’emporter en plaintes, elle ferait mieux de rechercher avec soin les origines d’un état de choses qui lui pèse; elle serait bien près alors peut-être de trouver les moyens d’y mettre un terme. Cet examen du malaise d’un grand pays, d’anciens et récens souvenirs nous invitent à l’essayer; mais, pour bien comprendre comment se sont usés les organismes politiques de l’Allemagne, il ne sera pas inutile de jeter un regard vers le passé, de montrer d’abord quels événemens ont préparé et mûri une situation si pleine de troubles et de difficultés; puis il faudra examiner cette situation en elle-même, indiquer successivement l’at-