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être dans sa nature, et elle était aussi dans sa position. Elle ne pouvait songer pour ses enfans à la couronne d’Espagne, assurée pour le moment aux enfans de la reine Louise-Gabrielle. Italienne, elle tournait tous ses rêves, tous ses désirs vers l’Italie. C’est là qu’elle voulait à tout prix chercher des trônes, prête à dévouer toutes les forces de l’Espagne à la réalisation de ce dessein. Seule, elle ne l’aurait pu; elle trouva auprès d’elle un merveilleux auxiliaire dans un homme qui n’était rien et qui voulait être tout : c’était Giulio Alberoni, Italien comme elle, et qui avait sa fortune à faire avec celle de sa terrible et impétueuse compatriote.

Ce qu’a été Alberoni, on l’a dit quelquefois, et nulle part on ne le voit mieux peut-être que dans ces relations de deux ministres intelligens et avisés placés auprès de lui à l’heure la plus décisive. C’est, à vrai dire, un personnage curieux de l’histoire, qui eût été le Mazarin de l’Espagne, si la fin eût répondu au commencement. Giulio Alberoni était le fils d’un petit jardinier de Plaisance, et il était déjà abbé lorsque sa fortune voulut que son évêque l’employât à quelque négociation auprès du duc de Vendôme pendant les guerres d’Italie. Par son assurance, il plut au duc, qui le prit avec lui et en fit une sorte d’aumônier, — aumônier fort libre, je me hâte de le dire, gai, souple et hardi, ne s’étonnant de rien et peu embarrassé de scrupules. Alberoni accompagna M. de Vendôme en France, puis en Espagne, se servant habilement des bonnes grâces de son protecteur, qui lui fit donner une grosse pension sur l’archevêché de Valence. A la mort du duc de Vendôme, le remuant abbé n’était point d’humeur à s’arrêter sur le chemin de la fortune: il s’en alla à Madrid chez le ministre de Parme, le comte Casali, et là encore, sur ce théâtre nouveau, il attira bientôt l’attention par son esprit autant que par ses façons dégagées. Le comte Casali ne tarda pas à quitter Madrid, et le laissa chargé des petits intérêts que le duc de Parme avait en Espagne. Le jeune et brillant abbé fit bien autrement qu’on ne pensait les affaires de la maison de Farnèse, et ce fut la mort de la reine Louise-Gabrielle qui lui en fournit l’occasion. Déjà fort goûté et écouté de la princesse des Ursins elle-même, il aida singulièrement au choix de la seconde femme de Philippe V. Il ne chercha pas à vaincre de haute lutte; il représenta négligemment sa princesse parmesane telle qu’il la fallait à Mme des Ursins, c’est-à-dire jeune, inexpérimentée, de mœurs simples et de peu d’esprit. Mme des Ursins se laissa prendre à ce portrait, qui promettait si bien une souveraine docile, et Elisabeth Farnèse fut choisie. Peu après, le coup de théâtre était complet et foudroyant : Elisabeth était reine d’Espagne, l’impérieuse camarera-mayor était bannie, Alberoni était comte, ministre en titre de Parme, et de plus natu-