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fusaient les subsides, où le peuple s’ameutait contre les soldats piémontais. Ce n’est pas là cependant qu’eût été le péril sérieux, si la royauté nouvelle n’eût été environnée à sa naissance de bien autres difficultés inhérentes à la situation même faite à l’Italie et à l’Europe par la paix d’Utrecht.

On n’a jamais mieux vu peut-être à quel point le destin de l’Italie était suspendu aux vicissitudes de la politique européenne. On sortait d’une guerre acharnée et sanglante de treize années, et la paix laissait l’incertitude partout. Il y avait au centre de l’Italie, à Florence, le dernier des Médicis, Jean-Gaston, dont la succession, avant d’être ouverte, était convoitée par tout le monde. A Parme, la maison régnante, celle des Farnèse, était aussi près de s’éteindre faute d’un héritier mâle, et le duché était revendiqué par l’empereur comme fief impérial, par le pape comme fief pontifical. L’empereur était dans l’île de Sardaigne, à Milan, à Naples, et protestait avec âpreté contre une paix qui lui avait arraché la Sicile, objet de son ardente convoitise. L’Espagne n’avait plus rien en Italie, et elle regrettait tout; elle tournait avec envie ses regards vers ses belles vice-royautés perdues, et d’ailleurs la nouvelle reine, Elisabeth Farnèse, qui allait en 1714 partager la couronne de Philippe V, lui portait pour ainsi dire en dot, avec sa passion, un moyen, un prétexte de reparaître dans la mêlée des affaires italiennes. Maître de la Sicile et du Piémont, Victor-Amédée était, entre l’Espagne et l’empereur, exposé au premier choc des ambitions contraires. Une guerre nouvelle ne pouvait être loin assurément. Ce fut pour l’empêcher ou la détourner un moment que se forma ce qu’on nomma la triple alliance de La Haye, entre l’Angleterre, la France et l’Autriche. Les tories, qui avaient fait le traité d’Utrecht, n’étaient plus au pouvoir en Angleterre, et une réaction d’impopularité se déclarait contre leur œuvre. Le régent, qui gouvernait la France, tenait avant tout à vivre en bonne amitié avec l’Angleterre et à maintenir la paix. L’empereur n’était pas opposé à la paix, pourvu qu’il eût ce qu’il voulait. La triple alliance n’avait pas un objet bien précis et bien défini; mais elle visait à préparer une combinaison propre à tout arranger, difficile à réaliser sans nul doute, et qui eût donné Parme et la Toscane à un fils de la reine d’Espagne, la Sicile à l’empereur, et à Victor-Amédée la Sardaigne, en échange de la Sicile. Victor-Amédée n’était pas le mieux traité. Quant à l’Espagne, elle entrait déjà dans une voie où ce qu’on lui offrait ne lui suffisait peut-être plus, et où elle allait en tous les cas se charger de mettre la main à l’œuvre.

C’est alors qu’apparaissent ces deux figures italiennes, Elisabeth Farnèse et Alberoni, au milieu de cette cour espagnole amortie dans l’étiquette après les agitations de la guerre, assombrie encore par