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M. Carutti publiait récemment à Turin : simple et vive révélation d’un épisode où l’Italie est en jeu comme toujours, et dont les principaux acteurs sont deux Italiens transportés en Espagne, Alberoni et Elisabeth Farnèse, unis dans une même pensée agitatrice.

Je n’ai pas à redire ce que fut la paix d’Utrecht, par quels efforts elle fut achetée, de combien d’actes successifs et distincts elle se composa : vraie toile de Pénélope qu’on mit quatre ou cinq ans à ourdir. C’est cette paix qui fit le duc de Savoie roi de Sicile. Victor-Amédée fut couronné le 22 septembre 1713; il alla à Palerme, où il fit une entrée magnifique, organisa le nouveau royaume, assembla un parlement, car il s’était engagé à respecter les coutumes et les libertés de la Sicile; puis il revint en Piémont, laissant pour vice-roi le comte Maffei. Cette royauté avait pourtant en sa faveur le droit diplomatique : elle ne dura que cinq ans, et elle finit de la plus singulière façon, après avoir assez heureusement commencé. Les Siciliens, que Victor-Amédée avait d’abord charmés, s’aigrirent bientôt et ne cachèrent plus leur mécontentement. Ils eussent été flattés peut-être d’avoir un roi demeurant à Palerme : dès qu’ils étaient réduits à la condition d’appartenir à quelqu’un, ils aimaient mieux encore dépendre d’une puissante monarchie que d’un petit souverain de la veille; ils aimaient mieux avoir pour vice-roi un grand d’Espagne qu’un petit noble piémontais.

Ce n’est pas tout : Victor-Amédée, en ceignant la couronne des rois de Sicile de toutes les dynasties, recueillait l’héritage embrouillé d’une ancienne et épineuse querelle avec le saint-siège. Le pape d’abord revendiquait un droit de suzeraineté sur la Sicile et refusait de reconnaître le nouveau roi; de plus, il poursuivait d’une guerre acharnée une institution sicilienne vieille de sept siècles, qui a survécu jusqu’à notre temps, qui s’appelait le tribunal de la monarchie, et qui avait été autrefois investie par les papes des pouvoirs les plus étendus dans le domaine religieux, au point de juger toutes les causes ecclésiastiques, de prononcer sur les censures et même de relever des excommunications. Rien ne prescrit en semblable matière, et cette querelle s’est plus d’une fois réveillée sous le dernier roi de Naples Ferdinand II. J’ai même lu quelque part que les malheurs récens de la dynastie napolitaine n’étaient que le juste châtiment de son aveugle persistance dans la violation des droits du saint-siège : voilà pourquoi François II est aujourd’hui réduit à une si cruelle extrémité! Victor-Amédée en son temps fit ce qu’il put pour s’arranger avec le saint-siège sans abandonner les droits de la couronne; le pape Clément XI batailla, fulmina des excommunications, mit l’île en interdit, força les évêques à quitter la Sicile, et ce fut un élément de trouble de plus dans un pays où les grands re-