Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gée, pour respirer, de casser le carreau de son unique lucarne. » Ils ont visité des greniers entièrement nus, sans une chaise, sans un bois de lit, sans un vase d’argile, sans même la botte de paille qu’on accordait autrefois au prisonnier dans son cachot. La plupart des horreurs qu’ils décrivent ont disparu. Nous avons tous vu à travers les démolitions ces ruches effondrées, étalant aux regards des passans leurs chambres étroites et malsaines, leurs mansardes homicides, leurs escaliers couverts d’une malpropreté séculaire. Ces rues, où personne n’osait pénétrer, à l’exception des malheureux qui n’avaient pas d’autre refuge, ont paru au soleil et à la lumière pour la première fois avec leurs ruisseaux infects et leur physionomie de sépulcres. Les hôtes sont partis, emportant dans un mince paquet toutes leurs richesses. Où sont-ils allés ? Avait-on construit quelque demeure plus saine, plus humaine pour les recevoir ? Presque tous ont émigré vers les extrémités de Paris, au risque de faire une ou deux lieues pour aller chercher et rapporter l’ouvrage : rude entreprise pour une malheureuse qui ne gagne que 10 centimes par heure, et qui ne mange qu’un peu de pain et de lait ! Faute des ressources nécessaires pour se faire un mobilier, quelques femmes sont réduites à loger en garni au milieu du rebut de la société. « Il y a de ces garnis, disait le procès-verbal de l’enquête, où les hommes et les femmes vivent ensemble dans la même chambrée. »

La plupart de ces malheureuses femmes ont un amant ; personne n’en rougit, la misère sert d’excuse à celles qui ont encore besoin de s’excuser. On a beau travailler tout le jour dans un grenier, on est jeune, on est Parisienne, on sait ce qui se passe à deux pas de soi. Quand la jeune fille, après avoir attendu la nuit pour ne pas perdre une heure de lumière et ne pas être vue dans ses haillons, va rapporter son ouvrage en tremblant qu’on ne lui fasse une retenue ou qu’on ne remette le paiement à un autre jour, dès le premier pas qu’elle fait dans la rue tout le luxe du monde lui entre à la fois dans les yeux. Les vitrines ruissellent de diamans, les plus coquettes parures appellent ses regards. Elle voit passer dans leurs équipages et dans leurs splendides toilettes les héroïnes du vice. Les théâtres, les bals publics, les concerts lui envoient des flots de musique par leurs portes béantes. Si elle n’a ni famille ni religion, qui la retiendra ? Qui donc lui apprendra, entre la misère et le luxe, à toujours préférer la misère ? Elle n’a pas même besoin de chercher ni d’attendre une occasion. Non, elle a la fortune sous la main ; elle se sait maîtresse d’opter, à chaque minute, entre l’excès du plaisir et l’excès de la souffrance. Tous les hommes ne sont-ils pas des acheteurs ? Est-ce qu’elle en doute ? Tous les bals de barrières ne s’ouvrent-ils pas gratuitement pour les femmes ? Est-ce pour rien que