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ment chaque samedi le salaire de la semaine, si la mère de son côté, et si les enfans, à mesure qu’ils avancent en âge, ajoutent à la masse un petit pécule, la nourriture sera abondante, quoique grossière, le logement proprement tenu ; les enfans ne souffriront ni du froid ni de l’abandon, ils fréquenteront l’école gratuite, et l’on aura encore, toutes dépenses faites, quelques deniers pour l’épargne. C’est là certainement une rude existence : douze heures d’un travail pénible tous les jours, sans autre repos que celui du dimanche, pour n’acquérir que le nécessaire ! Il faut une certaine force d’âme pour se contenter de si peu. On est heureux dans cette condition avec un cœur bien placé et de tendres affections autour de soi. La pensée qu’on remplit vaillamment son devoir, qu’on est le guide et le protecteur de quelques êtres chéris, la certitude de pouvoir compter sur le respect de tous au dehors, et dans l’intérieur sur des amitiés dévouées et fidèles, consolent un honnête homme de ses privations. Une femme se passe encore plus aisément de ce que la fortune peut donner, pourvu qu’elle se sache abritée, protégée, aimée, car c’est là le bonheur pour elle. La famille est à la fois ce qu’il y a de plus sacré au monde et de plus doux ; le vice et la misère ne prévaudront pas contre elle. C’est bien notre faute si nous cherchons au loin, sans parvenir à les trouver, des remèdes contre nos misères sociales ; il n’y a qu’un seul remède, et nous l’avons sous la main sans tant de métaphysique, si nous savions nous en servir : c’est le retour à la vie de famille.

L’ouvrière dont nous voulons étudier le budget est toute seule sur le pavé de Paris ; elle n’a ni mari pour la protéger, ni père, ni frère pour la recueillir. Supposons qu’elle appartienne à la catégorie des ouvrières d’élite, et qu’elle gagne au moins 2 fr. par jour. Il faut songer d’abord qu’il s’agit ici de 2 francs par jour de travail. Pour savoir à combien s’élèvent ses recettes annuelles, on doit défalquer les jours fériés, quatre grandes fêtes et cinquante-deux dimanches, ce qui réduit l’année à trois cent dix jours ouvrables. Il est de toute nécessité de retrancher aussi la morte saison. Elle varie sans doute selon les industries. Les brodeuses sur soie, velours et drap, gagnent des journées de 3 à 4 francs, mais elles ont un chômage de six mois. En général, la morte saison est de trois mois au moins pour toutes les industries. Trois mois représentent soixante-seize jours de travail. L’année est donc réduite à deux cent trente-quatre jours, et le budget annuel à 468 francs.

Les ouvrières ne restent pas absolument inactives pendant le chômage. Néanmoins il est toujours assez difficile d’obtenir du travail étranger, parce que les chômages viennent à la fois dans presque tous les corps d’état. En outre les ouvrières n’aiment pas à dé-