Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vail de nuit. Autrefois, c’est-à-dire hier, l’usage était de choisir soi-même l’étoffe et la coupe de son habit, le dessin de sa broderie ; l’entrepreneuse, qui recevait les ordres du public, avait besoin d’avoir ses ouvrières sous la main et les guidait dans leur travail. Ces ouvrages ne pouvaient se faire au loin, dans un couvent ou dans une prison ; c’était le lot de l’ouvrière parisienne. Les maisons de confection menacent de tout changer. À force d’acheter de grandes quantités de marchandises et de faire exécuter les objets par centaines, les confectionneurs réalisent de telles économies qu’ils vendent à un bon marché inouï. Le public se déshabitue de l’ancien système, qui faisait payer très cher et attendre longtemps. Le caprice le plus exigeant trouve à se satisfaire dans l’immense variété d’objets que les magasins exposent en vente. L’entrepreneur spécule en grand ; il écoule sur la province ce dont Paris ne veut plus, sur l’étranger ce que dédaigne la province. Comme il n’est plus asservi à ses cliens, il est du même coup affranchi de ses ouvriers. Il peut faire ses commandes au loin, les répandre par toute la France ; en un mot, il est maître du marché de la main-d’œuvre. La couture elle-même, qui fut si longtemps le travail sédentaire par excellence, risque bien de se transformer comme le rouet et la quenouille. On affiche dans Paris des manufactures de vêtemens ; on commence à coudre à la vapeur.

Il y a fort peu de temps que les machines à coudre sont connues en France : elles sont pourtant d’origine française, ou du moins c’est un Français nommé Thimonnier qui conçut le premier l’idée de construire un appareil pour coudre au point de chaînette. En 1834, Walter Hunt ajouta à l’aiguille mobile de Thimonnier une navette mue par le même mécanisme, et qui, faisant passer un fil dans chaque boucle formée par l’aiguille, rendit la couture indécousable. Enfin l’Américain Singer, en combinant ces deux idées, construisit les premières machines à coudre réellement pratiques. Les Américains les adoptèrent rapidement. Elles eurent en France, à l’exposition universelle de 1855, un vif succès de curiosité. Telle qu’on l’a perfectionnée, la machine à coudre n’est nullement encombrante ; on peut la mettre devant soi sur une petite table. L’œil n’aperçoit guère à l’extérieur qu’une plate-forme sur laquelle se met l’étoffe, deux bobines et une petite roue. L’étoffe est placée entre une aiguille verticale et une navette horizontale. Quand on tourne la roue, l’aiguille descend et perce l’étoffe ; comme elle est enfilée près de la pointe, le fil forme au-dessous de l’étoffe une petite boucle ; la navette s’avance alors horizontalement dans cette boucle, l’allonge sous l’étoffe et la tient couchée. L’aiguille verticale, continuant son mouvement, rentre dans l’étoffe, qui a reculé de la longueur d’un point, et introduit une seconde boucle à l’extrémité de la première. La première boucle étant.