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forme aux prix courans de l’industrie privée. Il ne lui fait pas une concurrence de quantité, car, à peu d’exceptions près, les ouvriers qui travaillent en prison travailleraient de même s’ils étaient libres.

La concurrence de prix existe malgré le tarif. En effet, il faut se souvenir que toutes les dépenses des maisons centrales, les seules où le travail ait une importance sérieuse, sont faites par un entrepreneur général qui reçoit en échange : 1° une somme fixée par le cahier des charges et qui est l’objet même de l’adjudication; 2° le droit d’exploiter à son profit, soit par lui-même, soit par des sous-traitans, la force des prisonniers. Or cette force lui est vendue au prix du tarif; mais comme on exerce dans les prisons cinquante-quatre industries diverses, et qu’il n’y a pas d’homme qui soit à la fois entrepreneur de cinquante-quatre industries, il sous-loue les bras des prisonniers à des fabricans dont il tire ce qu’il peut. Le tarif n’a rien à voir à ces marchés passés entre l’adjudicataire général et les sous-traitans, et pourtant c’est le prix payé par eux qui constitue le véritable prix de la main-d’œuvre dans les prisons, tandis que le tarif n’est qu’une sorte de monnaie de compte entre l’état et l’entrepreneur général. L’objection tirée de l’existence du tarif est donc sans valeur[1]. L’état fournit gratuitement le logement des prisonniers et les ateliers où ils travaillent. Il tombe sous le sens qu’il doit en résulter une diminution notable dans le prix réel de la main-d’œuvre.

Quant à la concurrence de quantité, ce qui prouve péremptoirement qu’elle existe, c’est qu’il n’y a pas moins de 3,000 détenus considérés comme apprentis dans les maisons centrales. Si l’on prend tous les ans 3,000 laboureurs pour en faire des tailleurs et des cordonniers, c’est un triste service rendu à l’agriculture, qui manque de bras, à la population des villes, où foisonnent les élémens de désordre, au travail de la couture, si encombré et si mal rétribué. Ajoutons ici, pour mémoire, que nous n’avons tenu compte que des maisons centrales, et que nous avons entièrement laissé de côté le travail exécuté dans les prisons de la Seine et dans les maisons d’arrêt, de justice et de correction de tous les autres départemens. D’après un rapport du directeur de l’administration des

  1. D’ailleurs il est fait à l’entrepireneur, sur les prix du tarif, un rabais d’un cinquième, et il prélève en outre trois dixièmes à titre d’indemnité sur les quatre cinquièmes restans, ce qui réduit pour lui les prix de 44 pour 100. On dit à cela que l’entrepreneur abaisse ses prétentions sur la somme qui lui est due en argent pour ses fournitures, en raison des bénéfices qu’il fait sur les prix du tarif; mais il n’en est que plus évident que ces prix ne représentent pas la valeur réelle de la main-d’œuvre des prisonniers.