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en a deux en ce moment à Nancy. Les ouvrières les plus habiles de la campagne gagnent 1 fr. 75 cent., 2 fr. ; les autres se contentent d’un salaire de 75 cent. La broderie tout à fait commune n’atteint pas 5 cent. par heure de travail. L’ouvrage fin, de son côté, présente un inconvénient terrible : il menace la vue. En outre, comme la mode règne en souveraine très fantasque sur la broderie, il arrive fréquemment qu’un caprice est abandonné avant l’achèvement des commandes ; le fabricant devient alors d’une grande exigence, afin de diminuer sa perte : il profite du moindre prétexte pour laisser l’ouvrage au compte de l’entrepreneur, et ces malfaçons finissent par retomber sur une pauvre ouvrière qui manque peut-être de linge et de pain.


II.

La situation du travail à l’aiguille, si triste qu’elle soit aujourd’hui, ne peut aller qu’en empirant. Les ouvrières ont à redouter trois concurrences : celle des prisons, celle des couvens, celle enfin d’un nombre plus grand qu’on ne croit de femmes jouissant d’une certaine aisance, et qui pourtant sont charmées de pouvoir tirer profit de leur travail. Ajoutons que la substitution du système de la confection aux anciennes habitudes du commerce et l’introduction de la machine à coudre menacent le travail de la couture d’une révolution complète.

Il y a quelques années, pour protéger le travail libre, on pensa un moment à supprimer le travail des prisons. Il fallait donc supprimer les prisons elles-mêmes, car il serait à la fois trop dangereux et trop cruel de renfermer des hommes et des femmes pour les livrer à l’oisiveté, ou pour leur imposer un travail absolument improductif[1]. Quand il fut question de rapporter le décret par lequel le gouvernement provisoire avait aboli le travail dans les prisons, on n’eut aucune peine à démontrer que les prisons ne pouvaient se passer du travail des prisonniers, pas plus que ceux-ci ne pouvaient se passer de travail. On voulut aller plus loin, et on prétendit que ce travail ne faisait au travail libre qu’une concurrence insignifiante ; c’était là une erreur, ou tout au moins une exagération. Le travail des prisonniers, disait-on, ne fait à l’industrie privée ni une concurrence de prix ni une concurrence de quantité. Il ne lui fait pas une concurrence de prix, car le tarif est arrêté par le préfet sur la proposition de la chambre de commerce, et il est toujours con-

  1. Voyez sur cette question une étude de M. Alexis de Valon dans la Revue du 1er juin 1848.