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exemple une idée très fausse de l’industrie des fils et tissus, si l’on croyait qu’elle a complètement abandonné le travail à la main. L’ancien métier est encore debout autour des usines. On le trouve partout, dans les caves, dans les cabanes. La manufacture élève ses hautes cheminées au milieu de cette population industrieuse, comme autrefois le château féodal dominait les humbles maisons de paysans. Il semble naturel de commencer notre étude par cette petite industrie qui subsiste en quelque sorte dans la grande.


I.

Quand on vient de visiter une de ces vastes usines où cinq cents métiers roulant à la fois donnent le spectacle émouvant de la fécondité et de la puissance de la grande industrie, il est curieux de traverser une rue, de descendre une vingtaine de marches et de se trouver tout à coup dans l’atelier d’un tisserand à bras. La cave, éclairée par un soupirail, est assez fraîche pour que le fil ne casse pas et assez tempérée pour ne pas le charger d’humidité; le métier la remplit souvent tout entière, le tisserand est obligé de se glisser entre les leviers pour rattacher les fils rompus. Ces grands et lourds montans à peine dégrossis, ces lisses qui se meuvent avec un bruit criard, ces cordes qui grincent dans les poulies, tous ces engins d’une simplicité primitive contrastent avec l’élégant petit métier de fer que la vapeur fait mouvoir avec une si prestigieuse rapidité. La plupart des tisserands à bras sont seuls dans leur cave et travaillent pour ainsi dire en cellule; quelquefois il y a deux métiers dans la même chambre, rarement plus. Le nombre de ces métiers à la main va toujours en diminuant en Alsace, en Normandie, dans le département du Nord; on en compte seulement 4,000, contre 20,000 métiers mécaniques dans le Haut-Rhin. A Saint-Quentin, la proportion est inverse; le rayon industriel de la place, qui s’étend jusqu’à Cambrai et Péronne, et même jusqu’à Vervins d’un autre côté, n’occupe pas moins de 70,000 ouvriers, hommes, femmes et enfans, et de 40,000 métiers à bras, dont 20,000 pour les articles de Saint-Quentin, et 20,000 pour les mélanges de soie, laine et coton. Le fin n’est jusqu’ici tissé automatiquement que dans les finesses moyennes; les gros articles et la batiste extra-fine sont encore obtenus par le travail à la main. Malgré les belles usines de Reims et de Roubaix, ce travail entre aussi pour une grande part dans la fabrication des étoffes de laine rases, non foulées. Quant à la laine cardée, dont les fils ont peu de régularité et de solidité, c’est à peine si l’industrie française commence à la confier aux machines. A Sedan, sur 4,000 métiers, on ne compte pas plus de 20 métiers