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et les expériences directes qu’il fit à ce sujet constatent que cette opinion n’a rien de fondé.

Afin d’éviter que l’arbre en tombant n’occasionne trop de dommage aux jeunes semis qui végètent à son pied, on l’ébranche avant de l’abattre. C’est une opération fort dangereuse, qui exige beaucoup de sang-froid et d’habileté. Un bûcheron muni de crampons aux pieds et aux mains grimpe jusqu’au sommet; il s’attache au tronc avec une corde, puis, au moyen d’une hache bien aiguisée, qu’il manie des deux mains, il coupe au-dessus de sa tête les branches qu’il rencontre; il faut qu’il s’écarte au premier craquement et tourne aussitôt de l’autre côté de la tige, sous peine d’être entraîné dans la chute. L’arbre est abattu, soit à la scie, soit à la hache, puis façonné en produits marchands. Ces produits forment trois catégories principales : les bois de service, les bois d’industrie, les bois de feu.

Les bois de service sont ceux qui sont employés pour les constructions navales ou civiles. L’approvisionnement de uns arsenaux maritimes en bois de construction a été l’une des plus constantes préoccupations des divers gouvernemens qui depuis l’administration de Colbert se sont succédé en France. En vertu du droit de martelage qui lui avait été conféré par l’ordonnance de 1669, la marine exerçait un véritable droit de préemption sur tous les bois de chêne propres à son usage compris dans les coupes de toutes les forêts du royaume, qu’elles appartinssent à l’état, aux communes ou aux particuliers. Ce droit fut supprimé pour ces dernières en 1837; mais, quoique maintenu pour les autres, il ne fut plus exercé à partir de cette époque : la marine dut dès lors se procurer par la voie du commerce les bois dont elle avait besoin, et mit en adjudication publique les fournitures des arsenaux. Après une expérience de vingt années, on crut reconnaître l’insuffisance de ce système, et l’on revint, du moins partiellement, à l’ancien martelage. Un décret du 16 octobre 1858 autorise en effet la marine à se pourvoir directement dans les forêts domaniales, et à distraire des ventes, pour les employer à son service, les arbres qui y sont propres. Les dispositions de ce décret, qui ne s’étendent ni aux forêts communales, ni aux forêts particulières, respectent donc le droit de propriété, qu’avaient méconnu les anciennes ordonnances; mais elles sont encore appliquées depuis trop peu de temps pour qu’on puisse dire si elles présentent réellement un avantage sur le mode d’approvisionnement suivi jusqu’alors. Les essences dont la marine fait chez nous à peu près exclusivement usage sont le chêne et le pin de Riga : le premier pour la coque du navire, membrure et bordages, le second pour la mâture. Ces pièces atteignent en général un prix fort élevé, parce qu’elles doivent pré-