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— Valentin !…

— Oh ! ne craignez rien, je ne parle qu’à vous… Est-ce que je ne vous ai pas vue dans tous les sentiers ?… Vous marchiez comme la bergeronnette qui sautille le long des ruisseaux, vous n’étiez pas seule. À présent vous errez la nuit, et ce n’est pas la rosée qui a suspendu ces gouttes d’eau à vos paupières… Mais qu’importe ? Mlle Marie sera heureuse !… Il y a des bonheurs qui se contentent de peu et passent après tous les autres : ainsi va le vôtre.

Marthe était touchée, elle ne chercha point à combattre la conviction de Valentin ; il l’exprimait en termes qui ne pouvaient l’offenser, et en outre elle était sûre de lui. Cet incident donna un autre cours à ses pensées. — À ma place, n’auriez-vous pas fait comme moi ? dit-elle au sculpteur d’un air simple et affectueux.

— Je ne sais pas ; mais à la place d’une autre personne qu’il ne m’appartient pas de nommer, je vous en voudrais beaucoup.

La lumière brillait toujours à la fenêtre de Valentin. Cette clarté solitaire attira les yeux de Marthe. Dans ce village endormi, elle paraissait singulière et appelait l’attention.

— Pourquoi donc veillez-vous si tard ? reprit Mlle de Neulise, qui changea le cours de l’entretien sans intention, et comme si elle n’avait pas entendu la réponse de Valentin.

— Pourquoi ?… Eh ! que sais-je ? dit-il d’une voix moins ferme. Vous vous promenez, pourquoi ne veillerais-je pas ?… Vous m’avez secouru par de bonnes paroles, vous m’avez fait ce que je suis ; mais la guérison n’est peut-être pas complète. Je ne me fais point d’illusion sur moi-même… Enfin ce que j’étais, je ne le suis plus. Malgré moi, je pense. Je vous ai prise en amitié, mademoiselle ; mais vous me semblez plus vaillante, plus brave que moi. Dans une situation qui aurait du rapport avec la vôtre, j’aurais certainement moins de courage, moins de résolution. Il n’y aurait que la fuite qui me guérirait. Je ne dis pas comme le proverbe : « Loin des yeux, loin du cœur ; » mais je dis : « Loin des yeux, loin des pleurs. » L’autre jour, vous en souvenez-vous ? vous me disiez : « Qui donc est heureux ? » Hélas ! je crois bien que vous aviez raison. Cependant voilà deux heureux que vous faites ; mais ce n’est pas vous, et ce n’est pas moi.

L’association de ces deux mots ne frappa point Marthe. — Que vous manque-t-il donc ? reprit-elle avec un intérêt qui n’était pas feint.

Valentin se troubla. — Rien peut-être, répondit-il, ou peut-être quelque chose que je ne saurais dire. Cela se passe en moi. Je travaille, et il me semble que vous n’aviez pas tort quand vous auguriez bien de mes dispositions. L’esprit s’échauffe, les doigts s’assouplis-