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postérité, ce qui ne l’avait pas empêchée de lui donner plus tard ses deux filles pour épouses. Subordonné dès l’enfance à un frère supérieur en âge et en dignité, le nouvel auguste d’Occident avait éprouvé de la part de ce frère, ou des domestiques qui le servaient, des humiliations dont il brûlait de se venger quand il régnerait à son tour : tels étaient les deux princes, successeurs de Théodose.

Après Honorius venait dans la famille impériale une sœur plus jeune que lui, fille d’un second mariage de leur père avec cette belle Galla, fille elle-même de l’impératrice Justine et de Valentinien Ier, dont Théodose devint épris rien qu’en la voyant, tant ses charmes étaient irrésistibles. Galla Placidia n’était encore qu’une enfant quand son père mourut; mais dans cette enfant se montraient déjà, avec les promesses d’une beauté qui rappelait sa mère, un esprit vif, élevé, une volonté inflexible, une âme plus altière que tendre, plus capable de haine que d’amour. Sa mère étant morte presque en la mettant au monde. Théodose l’avait confiée aux soins de Sérène, qui ne songea pas assez à ménager ce caractère irritable à l’excès, ou du moins qui n’y sut pas réussir. Sérène elle-même n’était pas une femme ordinaire. On la considérait dans l’empire comme un membre important de la maison impériale, et les poètes ne craignaient pas de lui donner dans leurs vers le titre de reine ou d’impératrice : elle acceptait avec orgueil ce nom qui ne lui appartenait pas, fière du grand empereur son oncle, fière surtout de son mari, qui était le premier général du monde romain, et elle soutenait cet orgueil par un esprit ferme et un grand cœur. Ces quatre personnages composaient la famille de Théodose ; dans cette famille, comme on le voit, la virilité semblait avoir répudié les hommes pour passer aux femmes.

La jalousie secrète qui couvait au cœur des deux frères allait trouver, pour éclater, une excitation puissante dans l’inimitié de leurs ministres et dans la rivalité de leurs sujets. La jeune et la vieille Rome, depuis que Constantin les avait mises en présence, ne s’étaient jamais vues de bon œil : la métropole du Tibre ne pardonnait pas à celle du Bosphore sa splendeur, ses richesses, et la prédilection que lui montraient les empereurs chrétiens; elle ne lui pardonnait pas surtout d’avoir enlevé à l’Italie la plus belle moitié de ses conquêtes. Constantinople, de son côté, avait puisé chez les Grecs, qui la peuplaient, l’idée de sa supériorité sur Rome, fondée par les races latines. Il s’était formé effectivement, autour de la ville de Constantin, un empire de langue grecque enclin à s’isoler de l’Occident et à se poser vis-à-vis de l’Italie comme la partie la plus intelligente, la plus industrieuse, la meilleure du monde romain : empire vaniteux, fanfaron, querelleur, comme les nations qui le composaient. Déjà distinct par le langage et les mœurs, il tendait