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frisson la parcourut tout entière, mais ce n’était plus d’elle qu’il s’agissait. On n’avait pas vu Olivier depuis quinze jours. La Javiole raconta à Marthe que le lendemain du départ de M. de Savines, dont le voyage coïncidait avec ces bruits d’union, Marie avait été saisie d’un accès de fièvre. — On ne m’aime pas, on ne m’a jamais aimée, ni lui, ni ma sœur ! répétait-elle dans son délire. Quand elle se taisait, c’était pour pleurer. — Cela me fendait le cœur de la voir si malheureuse ! ajoutait la Javiole, mais que faire ?

— Je ne sais pas, répondit Marthe ; mais sois sûre que je ferai quelque chose.

Ce chagrin profond, silencieux, concentré de sa sœur avait fait pénétrer comme une vie nouvelle dans les veines de Mlle de Neulise. Une force généreuse l’animait ; elle était résolue à ne pas fléchir dans la tâche qu’elle s’était imposée. Qu’on surmontât les petites difficultés que les heures fugitives de chaque jour apportent avec elles, c’est une affaire où le courage n’a point de part. Si l’enfant qu’elle avait vu déchirant ses pieds nus sur les cailloux n’eût pas courbé son dos meurtri sous le poids écrasant des branches mortes, eût-il eu ce fier mouvement de tête et ce cri altier qui communique aux muscles brisés toutes les forces vives du cœur ? Elle se sentit réchauffée et comme affranchie, et regarda devant elle d’un regard plus assuré. Marie était malade de l’absence de M. de Savines. Il fallait d’abord rappeler M. de Savines et le revoir. Marthe interrogea Francion. L’ancien braconnier ne savait rien. — Jacquot lui-même ne retrouverait pas sa trace, dit-il. — Valentin, qui était accouru à La Grisolle dès le retour de Marthe, était mieux informé. M. de Savines habitait un château du côté d’Épernon. — On y joue la comédie ; il y a beaucoup de beau monde, ajouta Valentin, qui taillait un morceau de bois et observait Mlle de Neulise. Marthe lui demanda s’il se chargerait de porter une lettre à ce château. — Je ferai ce que vous voudrez, répondit Valentin.

Marthe ne perdit pas une minute ; elle écrivit quelques mots à la hâte et les remit au tailleur d’images. — C’est fort pressé, dit-elle, partez ce soir.

Valentin retourna dix fois la lettre entre ses doigts. — Il est bien heureux ! murmura-t-il : quelqu’un l’attend, quelqu’un le désire !

— Heureux ! qui donc est heureux ? répliqua Marthe avec un léger mouvement d’épaules… Il fera clair de lune ce soir… Partez vite.

Valentin jeta contre un tronc d’arbre la statuette à moitié sculptée et s’éloigna à grands pas.

Marthe rentra à La Grisolle. Une voix intérieure lui criait que M. de Savines ne serait pas longtemps sans reparaître. — M. de Savines ne pense pas au mariage, dit-elle hardiment à Marie, qu’elle