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L’OUVERTURE DU COURS DE M. SAINT-MARS GIRARDIN A LA SORBONNE.

Le semestre d’hiver a commencé à la Sorbonne. M. Saint-Marc Girardin a, l’un des premiers parmi ses collègues comme de coutume, ouvert son cours de poésie française, et nous avons retrouvé l’auditoire et le professeur que nous connaissons et aimons depuis vingt ans.

C’est un curieux spectacle que présente ces jours-là la vieille Sorbonne. La France et l’Europe y sont représentées par les nouvelles recrues de jeunes étudians qu’envoient à Paris, au commencement de chaque saison d’hiver, nos académies provinciales et les universités étrangères. On y entend vingt langues ; on y est assis entre un Arabe et un Persan, et l’Orient chrétien, arménien ou moldo-valaque, n’y manque pas, lui qui reconnaît dans M. Saint-Marc Girardin, depuis longtemps déjà, un éloquent ami et un chaleureux défenseur. Assemblé des quatre coins de l’horizon, complété par l’appoint de ceux qui, comme nous, ont appris depuis la jeunesse à aimer la parole du maître et le maître lui-même, cet auditoire devient, en dépit des provenances et des nationalités diverses, tout français. Oui, lui qui mêlait tout à l’heure tous les langages, le voilà qui se plaît au beau parler de notre pays, qui saisit avec une singulière finesse cette expression délicate, cette nuance seulement indiquée, ce sous-entendu spirituel ; le voilà qui a du bon sens, de l’esprit et du goût. Et quant à l’ardeur, quant aux nobles entraînemens, quant aux sympathies généreuses, comme il frémit ! comme il retentit sous un mot qui tombe ! quel écho sensible ! quel métal sonore ! Où trouver ailleurs dans l’enseignement public un tel auditoire ? Est-ce dans nos provinces ? Il y a dans toutes nos grandes villes, cela est vrai, des facultés où un enseignement supérieur rend au pays des services que l’Université elle-même ne reconnaît peut-être pas assez. Cet enseignement ouvre à l’esprit du jeune homme des perspectives nouvelles que l’enseignement secondaire n’avait eu ni la mission, ni le temps de lui révéler ; il rappelle à l’homme fait, engagé quelquefois dans les préoccupations exclusives d’une industrie ou d’un commerce spécial, les intérêts intellectuels et les plaisirs littéraires ; surtout il perpétue et répand, — ce n’est pas le moindre de ses services, — les habitudes et les maximes de l’esprit français, sa critique intelligente et large, ses principes de composition claire et précise, son goût d’harmonieuse variété dans le cadre d’une unité savante.

Ce que répand de bon sens, de vraie lumière et de sage raison dans notre pays cet enseignement chaque jour répété, s’apprécierait difficilement, et le jour où cette source bienfaisante cesserait de couler, le ton général où s’est élevé l’esprit français dans le concert intellectuel de l’Europe commencerait à baisser. Plus d’une de nos facultés de province a réuni et réunit encore de nombreux et sympathiques auditoires, et plus d’un professeur habile s’y est fait un juste renom. Lyon, Toulouse, Montpellier, Bordeaux, Bordeaux au temps du regrettable M. Rabanis, en qui nous venons de perdre un esprit d’une rare vivacité et d’une singulière ardeur, ont offert à l’enseignement supérieur, avec bien d’autres de nos villes, une enviable carrière et un noble rôle à remplir ; mais pourtant il y manque en général cet élément vivant des auditoires parisiens, le grand nombre des jeunes gens. Il y