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blessées et méconnues et attend de Dieu les mêmes consolations. Elle ne dit pas comme les pharisiens gonflés du poison de leur confiance insolente : Je vous ai servi fidèlement, et je viens la tête haute chercher mon salaire. Elle dit : Je suis votre enfant, ne détournez pas la tête. Nous détacherons encore du volume la pièce intitulée la Couronne effeuillée ; elle fera comprendre la douceur particulière de cette note religieuse :

J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur.
J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée.
Mon père a des secrets pour vaincre la douleur.

J’irai, j’irai lui dire au moins avec mes larmes :
« Regardez, j’ai souffert… » Il me regardera.
Et sous mes jours changés, sous mes pâleurs sans charmes,
Parce qu’il est mon père, il me reconnaîtra.

Il dira : « C’est donc vous, chère âme désolée !
La terre manque-t-elle à vos pas égarés ?
Chère âme, je suis Dieu, ne soyez plus troublée ;
Voici votre maison, voici mon cœur, entrez ! »

O clémence ! ô douceur ! ô saint refuge ! ô père !
Votre enfant qui pleurait, vous l’avez entendu ;
Je vous obtiens déjà, puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.

Vous ne rejetez pas la fleur qui n’est plus belle :
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle.
Non d’avoir rien vendu, mais d’avoir tout donné.

Arrêtons-nous sur cette jolie pièce où l’on respire les parfums d’une rose foulée qui remontent vers le ciel. Par le sentiment consolateur qu’elle exprime, cette pièce forme l’épilogue naturel de la poésie éplorée de Mme Desbordes-Valmore, comme l’espérance religieuse était la consolation naturelle de sa triste existence. Si nous avons insisté si longuement sur un poète qui tint, selon ses propres paroles, si peu de place dans cette vie, et qui passa parmi nous comme une ombre plaintive, ce n’est pas dans l’espoir de lui conquérir des admirateurs posthumes, ni d’intéresser à ses chants, que ses contemporains écoutèrent avec distraction, des générations qui ne l’ont pas connue, et dont l’oreille est attentive à des chansons d’un genre bien différent. Elle n’est point de ceux dont la mort commence la gloire et dont le tombeau se décore de couronnes. Il lui manque les deux choses essentielles qui enlèvent la sympathie : la magie de l’expression et la variété. Prononçons crûment les mots vrais : sa poésie est incolore et elle est monotone ; ses images se dé-