Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/1013

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi où le chant du coq rappelle les fantômes dans leur sépulcre, et où le vent du matin chasse les odeurs méphitiques des nocturnes sabbats. La pâle Hécate, l’astre des sorcières, brille encore à l’horizon ; forcée de fuir devant les esprits qui rouvrent les portes du jour, elle s’éloigne courroucée, et malheur alors aux enfans qui entrent dans la vie et sur qui tombe son regard! Mme Desbordes-Valmore était-elle née à ces heures du matin, et un regard d’Hécate était-il tombé sur son berceau, que les fées comblaient de leurs dons? Ou bien, supposition plus triste encore, y aurait-il par hasard dans le ciel des anges jettatori ? Eux qui savent toute chose et qui connaissent les misères de l’existence humaine doivent plus d’une fois regarder avec tristesse les âmes condamnées à partir pour la terre. Qui sait si les âmes venues au monde mélancoliques et blessées, comme celle de Mme Desbordes-Valmore, ne sont pas bien souvent celles sur lesquelles s’est arrêté le regard attristé d’un ange touché de compassion? Heureuses alors celles qui ont été vues sans voir! elles pourront connaître la joie et le bonheur; mais malheureuses celles qui ont rencontré ce regard au moment où il tombait sur elles! elles l’emporteront avec elles comme un dard lumineux, et ne seront jamais guéries de leur tristesse. En un instant et avant d’avoir vécu, ces âmes ont appris, par la seule puissance d’un regard angélique, toute la science de la vie humaine ; elles ont vu comme dans un éclair leur existence future, et elles viennent au monde avec la certitude qu’elles épuiseront toutes les douleurs. Une telle certitude détruit d’avance en germe toutes les chances de joie et de bonheur. Il n’est pas un événement de la vie qu’on n’accueille comme un pressentiment sinistre. Dès qu’elles sentent les premières atteintes de l’amour, loin de se réjouir comme les autres âmes, celles-ci s’écrient : Je sais qu’un grand malheur me menace. Dès qu’elles sentent les premières morsures de l’ambition, leur ardeur, loin de doubler, se glace, et elles s’écrient : Je sais qu’un piège m’attend. Mauvaises dispositions, on en conviendra, pour donner ou pour recevoir le bonheur. Aussi ne le connaissent-elles jamais et ne le font-elles jamais connaître à ceux qui le leur demandent. Rien n’égale l’extrême timidité de ces âmes en qui la passion s’unit à la faiblesse. Comme elles disent : Cela est impossible, devant toute chose, elles rendent toute chose impossible. Comme elles n’ont pas confiance, elles engendrent vite chez autrui la défiance et la lassitude. Au lieu de se laisser aller naïvement aux joies qu’on leur propose, elles élèvent des doutes et interrogent avec inquiétude pour savoir si elles ne sont pas trompées. Est-ce bien sûr? disent-elles; pourquoi vous faire un jeu de mes souffrances, et me faire le soir des promesses que vous aurez oubliées demain? Cette timidité et ces appréhensions