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procédés chimiques les œuvres poétiques, comme on décompose les corps matériels.

Ces poésies ne donnent donc qu’une seule note, mais une note si déchirante et si pathétique, qu’aucun poète ne pourrait la dépasser en énergie et en vérité. Quelques-unes de ces élégies sont uniques dans leur genre, et ne redoutent, pour la force du sentiment, aucune comparaison, au moins dans notre langue. Pour leur trouver des rivales, il faudrait les aller chercher dans certains recueils poétiques anglais, par exemple chez mistress Felicia Hemans. Cette note est celle de la passion malheureuse. La passion chez Mme Valmore est lyrique comme sa poésie : j’entends par là qu’elle est essentiellement passive et subjective; elle est toute douleur, tout regret, tout désespoir. D’autres victimes de l’amour ont été des héroïnes, elle est une martyre. Elle ne lutte pas, ne résiste pas, ne maudit pas; elle se résigne, soupire et s’affaisse. Tous les élémens dramatiques de la passion active, la haine, l’invective, le reproche, la jalousie, lui manquent; elle n’a pas d’armes agressives, et ne combat que par des plaintes. En vérité, on pourrait appeler sans trop de hardiesse ses poésies les psaumes de l’amour. Ses chants sont des prières désespérées qui implorent non l’appui, mais la pitié et le pardon du vieux tyran de l’âme humaine; c’est le miserere lamentable d’un cœur las de souffrir et qui demande grâce. Oh! comme avec elle nous sommes loin des nocturnes ardeurs et des incantations dangereuses des autres victimes de la passion ! Elle ne dit pas, comme ses sœurs de tous les temps : «Pourquoi, amour, m’abandonnes-tu et me reprends-tu ce que tu m’as donné? » mais elle dit : « Pourquoi ne m’as-tu pas épargnée? » Elle imite en l’honneur du dieu païen, sans trop s’en douter, les accens des vieux cantiques religieux où est exprimé le deuil de l’âme. « Du plus profond de l’abîme, j’ai crié vers toi, amour... Aie pitié de moi, toi qui tiens nos cœurs dans tes mains. Vois, les larmes ont creusé mon visage, et la fièvre a consumé ma chair... Toute la nuit je me suis retournée sur ma couche, et j’ai entendu dans le silence gémir la voix de mon cœur. » C’est ainsi qu’on pourrait résumer, sans parodie irréligieuse aucune, la plupart de ces élégies, dont quelques-unes ont été si bien nommées de ces tristes noms : Pleurs et pauvres fleurs. Mais ce qui achève de leur mériter ce nom de psaumes de l’amour que nous leur donnons, ce sont les sentimens singuliers d’humilité et de pénitence dont ils sont remplis. Le poète s’accuse à ciel ouvert et se reconnaît coupable envers l’amour. Il demande pardon du péché de tendresse, pardon du péché de bonté, pardon d’avoir osé aimer. Oui, elle a été bien ambitieuse et bien présomptueuse, mais elle confesse son crime, et cependant n’ose croire qu’il lui sera pardonné. Elle devait