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vous le regardiez, à quelque passage que vous l’ouvriez. Sa poésie et son âme ne faisant qu’un, elle est toujours égale à elle-même. Il est presque impossible de la citer, car toutes ses pièces se valent, à de très rares exceptions près. Ouvrez le livre où vous voudrez, vous êtes sûr de rencontrer quelque trait de passion touchante, d’entendre quelques accens de tendresse suppliante dignes des plus grands poètes. Il n’y a pas une seule page, même parmi celles qui semblent au premier abord les plus pâles, qui ne soit illuminée tout à coup par quelque éclair inattendu. Connaissez-vous une preuve plus grande de sincérité que cet embarras qu’éprouve le lecteur à préférer et à choisir? Mme Desbordes-Valmore est poète à chaque page, parce qu’elle est sincère à toute heure, parce que la poésie se confond en elle avec la vie, et n’est en quelque sorte qu’une des fonctions de la vie, comme la circulation du sang ou la respiration.

Si la poésie lyrique consiste avant tout dans l’expression intime des sentimens personnels. Mme Desbordes-Valmore est le plus lyrique des poètes contemporains : elle l’est plus que les plus grands, plus que M. de Lamartine, plus que M. Victor Hugo, car chez elle l’élément lyrique est sans alliage. Il y a dans les œuvres de ces grands poètes un élément dramatique qui manque à Mme Valmore; leur âme n’est jamais seule, quoi qu’ils en disent; il y a toujours à leur côté quelque Elvire pour s’attendrir avec eux sur la brièveté de la vie, et consentir, au profit de leur épicuréisme mélancolique, aux applications les plus consolantes du carpe diem des anciens. La nature joue aussi son rôle dans leur œuvre, et mêle ses mille voix à la voix de leur cœur. Rien de pareil n’existe chez Mme Desbordes-Valmore; l’âme du poète est seule, absolument seule, sans autre compagnie que celle de ses chagrins, trop absorbée par sa douleur pour entendre les voix consolantes de la nature. Il y a bien un second personnage qu’on peut désigner sous le nom de lui, lui qui a fait tout le mal, lui qui est la cause adorée de ces souffrances ; mais on ne le voit jamais, et l’on pourrait dire qu’il vient toujours de partir :

Ma sœur, il est parti! Ma sœur, il m’abandonne!
Je sais qu’il m’abandonne, et j’attends, et je meurs!...


Le chant ne commence que lorsque le dialogue a pris fin, que la porte s’est refermée sur l’ingrat ou le coupable, et que le poète s’est senti de nouveau solitaire. Aussi n’entre-t-il dans ces monologues d’une âme abandonnée que les élémens dont se compose essentiellement la poésie lyrique, c’est-à-dire des plaintes et des cris. On a ici la poésie lyrique pure, réduite à ses élémens primordiaux, tels que l’analyse pourrait les donner, s’il était possible de décomposer par des