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Oui, le cheval barbe était considéré par les Grecs comme le type accompli de la beauté chevaline, car c’est celui que sculpta Phidias et que décrivit Xénophon, Peut-être ne le préférèrent-ils que parce qu’ils reconnurent dans sa beauté une certaine ressemblance avec la beauté de leur propre génie. Et en effet, ne vous semble-t-il pas qu’il y a une analogie très frappante entre les formes du cheval barbe et les caractères du génie grec ? Des deux côtés, c’est la même souplesse et la même agilité, la même libre ardeur ; le cheval barbe et le génie grec ont tout en commun, tout jusqu’à cette maigreur nerveuse et cette sécheresse gracieuse qui ne se peuvent comparer qu’à la maigreur et à la sécheresse de l’adolescence. Le cheval barbe, qui est le plus intelligent des chevaux, devait être la monture naturelle du plus intelligent des peuples. Si la théorie d’Empédocle est vraie, s’il y a une âme dans le sang, ce cheval a une âme. Regardez attentivement, et vous éprouverez un étonnement mêlé d’effroi : il a quelque chose d’humain, il connaît ses ressources et sa force, il modère librement son ardeur, il sait qu’il fait partie d’un cortège religieux. À quels signes reconnaît-on les âmes, si ce cheval n’en possède pas une ?

Voilà l’individualité de notre cheval bien constatée ; mais cette âme qu’il semble posséder, c’est sans doute le sculpteur qui la lui a donnée. Phidias n’a pas trouvé dans la nature cette physionomie presque humaine et ce regard qui est presque un langage. C’est sans doute cette âme ajoutée par l’artiste qui donne à son cheval je ne sais quoi qui le sépare de tous les modèles de chevaux barbes que la nature peut nous fournir. Eh bien ! non, ce cheval est redevable de son âme non au sculpteur, mais aux méthodes grecques d’équitation. Ce cheval barbe n’est pas le buveur d’air du Sahara, c’est un cheval barbe dressé selon les méthodes de Cimon et de Xénophon. Ce n’est donc pas la nature, mais la civilisation athénienne qui a fourni à Phidias le modèle de ce cheval, ainsi que le fait remarquer M. Cherbuliez dans quelques pages ingénieuses et vraiment profondes. Ce cheval a en lui quelque chose de l’éducation athénienne, et c’est de là que lui vient en partie sa beauté. Il a été soumis à une discipline douce et presque volontaire. Son ardeur n’a jamais été maîtrisée, mais conseillée ; son impétuosité n’a jamais été punie, mais réglée. Il n’a pas connu les mauvais traitemens, ni les injures, et c’est pourquoi il a une âme qu’il partage avec son cavalier, auquel il est soumis, non comme un esclave, mais comme un ami qui se donne librement.

Vraiment l’idéalité de ce cheval nous paraît fort compromise. Comment ! après avoir reconnu que ce cheval ne se rencontrait pas dans la nature, nous avons découvert successivement qu’il appartenait à