Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/993

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la beauté et le sens divin du livre de la nature. Ces personnages sont plutôt indiqués qu’esquissés ; cependant ils sont assez vivans pour n’être pas de simples ombres et de vaines personnifications de théories esthétiques : une légère étincelle les anime. D’ailleurs ces personnages ne pouvaient être doués d’une personnalité bien forte, puisque c’est moins des caractères différens que des tournures d’esprit différentes que l’auteur a voulu personnifier en eux. Ils sont chargés non de se combattre, mais de se compléter, car un des buts de l’auteur a été de montrer combien tous les principes de l’art s’enchaînent étroitement, comment les divers systèmes qui ont été proposés sur les principes du beau ne sont ennemis qu’en apparence, et ne sont séparés que par les limites arbitraires qu’ils s’imposent. Cet essai est en effet, en un certain sens, une application à l’art d’une parole de Leibnitz qu’on ne saurait trop recommander : la plupart des systèmes sont bien moins faux dans ce qu’ils affirment que dans ce qu’ils nient. Cette parole est vraie ailleurs qu’en philosophie, et M. Cherbuliez vient de prouver qu’elle trouvait son application dans l’art. Un jour viendra sans doute où l’on se demandera si elle n’est pas également vraie en politique et en religion.

La marquise s’est éprise d’un des chevaux de Phidias. Le lecteur trouvera en tête du volume le portrait de cet animal vraiment distingué et qui fait honneur au goût de son admiratrice. Le temps envieux a outragé et mutilé sa beauté, et s’il pouvait parler, il dirait sans doute, lui aussi, comme le poète italien : Non son che io era. Avec un peu d’imagination et de bonne volonté, il serait facile de lire quelque chose de ce douloureux sentiment dans l’ardeur sombre qui anime sa tête nerveuse, et l’on dirait que ce sentiment est aussi partagé par son cavalier, beau Grec coiffé du pilos arcadien, dont la tête légèrement penchée en avant est empreinte d’une mélancolie tranquille et dédaigneuse. Un soir que la société est réunie près du Parthénon, la marquise, qui s’ennuie plus que de coutume, propose une joute oratoire en l’honneur de ce cheval bien-aimé ; chacun des concurrens vient donc à son tour célébrer les louanges de ce favori. Comme nous approuvons sans réserve les idées que les quatre concurrens expriment tour à tour, notre tâche se trouve fort simplifiée. Nous nous contenterons de présenter ces idées au lecteur, et si de temps à autre nous prenons la parole en notre nom, ce ne sera que pour les marquer et les accentuer davantage. Nos paroles ne seront pour ainsi dire que de rapides parabases, — pardon de ce mot pédantesque, mais nous sommes à Athènes, — chargées d’enfoncer dans l’esprit de l’auditeur les vérités qui lui sont exprimées.

L’orateur qui prend le premier la parole s’attache à rechercher % secret de la beauté de ce cheval. Et d’abord il se heurte contre l’obstacle