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la beauté des êtres vivans, ils entonnent à leur insu un hymne religieux en l’honneur des dieux. Les œuvres d’art sont comme de grandes prières, dont les belles choses visibles fournissent les paroles. C’est cette étroite alliance de la religion et de l’art qui nous est enseignée par toutes les fables grecques sur l’origine de la poésie, par tous les monumens antiques, et spécialement par cette frise du Parthénon que Phidias sculpta tout entière en l’honneur de Minerve, protectrice d’Athènes. Progressivement, en partant d’un simple cheval sculpté, c’est-à-dire d’un objet d’art très limité et prêtant aussi peu que possible à la généralisation, nous sommes arrivés par la méthode platonicienne aux idées les plus universelles ; de ce qu’il y a de plus contingent dans l’art, nous sommes arrivés à ce qu’il y a de plus éternel.

Un livre placé pour ainsi dire sous l’invocation de Platon, écrit selon les règles de sa méthode si flexible et si libre, ne pouvait qu’être excellemment composé. Aussi n’avons-nous qu’à louer la composition et l’ordonnance de cette fantaisie dialoguée, dont toutes les parties sont rattachées entre : elles, non par les crampons de fer d’une logique scolastique, mais par des liens d’un tissu souple et brillant. M. Cherbuliez s’est rappelé, dirait-on, les maximes d’équitation qu’il recommande d’après Xénophon, entre autres celle qui prescrit de ne pas serrer systématiquement les rênes, si le cavalier veut que son cheval ait une allure aisée et gracieuse, et il a mené jusqu’au bout sa course oratoire sans user trop tyranniquement du mors. J’ai cependant quelques chicanes à lui faire. Son livre est écrit d’un ton trop uniforme, par périodes trop égales, avec un choix trop soigneux des mots, et un désir trop évident de n’employer que les plus polis et les plus courtois. Ce dernier reproche pourra paraître singulier ; mais l’écrivain l’a mérité, et il est juste qu’il porte la peine de sa faute. Je sais bien qu’il peut me dire, pour son excuse, que les interlocuteurs de son dialogue sont gens du meilleur monde, et qu’en de pareilles bouches les mots ne sauraient être trop courtois ; mais la courtoisie doit avoir de justes limites, même dans le meilleur monde, et il ne faut pas que la courtoisie et la politesse, qui ont été inventées par les gens bien élevés à l’unique fin de prévenir la tyrannie des esprits indiscrets et dépourvus de tact, deviennent tyranniques à leur tour, au point de gêner la plus précieuse de toutes nos facultés, la spontanéité. Il en est un peu du livre de M. Cherbuliez comme de ces conversations mondaines dont toutes les expressions sont sévèrement triées et strictement polies, mais viennent se ranger l’une après l’autre à la place où elles étaient attendues, sans exciter aucun étonnement. Il y a peu de spontanéité dans l’écrit de M. Cherbuliez, peu d’expressions inattendues,