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une autre, font profession de veiller aux intérêts de la vérité. C’est un souci qui devrait surtout préoccuper ceux qui se sont donné pour mission d’enseigner au public les principes d’art ou de morale, car dans ces matières il est extrêmement facile de glisser sur la pente de l’ennui, et quiconque est ennuyeux risque fort de manquer le but que cherche naturellement à atteindre tout homme qui ouvre la bouche pour articuler des sons. Être ennuyeux est donc pour un écrivain plus qu’une infortune personnelle, c’est une sorte de trahison envers la vérité qu’il s’est chargé d’expliquer, envers les principes qu’il s’est chargé de défendre. C’est un devoir pour l’écrivain de n’être pas ennuyeux, puisque c’est à ce prix seulement qu’il peut espérer d’être écouté, surtout à l’époque où nous vivons. Le public de nos jours est singulièrement distrait et affairé ; il n’a pas de temps à perdre, et il ne faut pas compter qu’il aura, comme le public d’autrefois, de longues journées à nous consacrer. Il n’a que quelques minutes, un quart d’heure à peine à vous donner ; tâchez par conséquent de profiter de cette courte audience de manière à faire sur son esprit une impression favorable, et à lui laisser le désir de vous revoir et de vous entendre encore. Nos pères avaient le temps de rectifier leurs jugemens sur un écrivain, et de découvrir, sous l’épais nuage d’ennui dont il s’enveloppait trop souvent, les qualités qui lei distinguaient, la part de vérité que contenaient ses écrits ; mais les dieux turbulens et actifs qui gouvernent notre époque nous ont défendu ces loisirs. Si donc vous avez quelque bonne vérité à dire aux hommes, quelque idée juste à faire passer, réglez votre conduite sur ce principe ; que vos auditeurs sont pressés, et qu’ils vous trouveront indiscrets si vous n’avez l’art de leur faire oublier les précieuses minutes- qui s’envolent pendant qu’ils vous écoutent. Ainsi a fait M. Cherbuliez. S’il avait entrepris de discourir doctoralement sur la nature du beau, sur ses principes et ses lois, tout le monde se serait écarté de lui ; mieux avisé, il a invité ses lecteurs à faire avec lui une courte promenade dans Athènes, à respirer pendant quelques heures, en très aimable compagnie, l’air salubre et sec de l’Attique, et à causer d’art en contemplant les frises du Parthénon ; tous ceux qui répondront à son invitation lui sauront gré de cette soirée charmante. Ils n’auraient rien retenu peut-être des leçons du professeur, même en supposant qu’ils eussent voulu l’entendre ; ils retiendront tout des causeries de l’ami, et c’est ainsi que, par une ruse aimable, leur esprit aura reçu des vérités auxquelles ils ne songeaient pas et dont peut-être ils ne se souciaient guère. Aussi je n’hésite pas à dire que des essais et des fantaisies dans le goût du livre de M. Cherbuliez peuvent faire plus pour la propagation et la vulgarisation des vrais principes