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d’Hemling que nous voyons à l’hôpital, n’a pas un caractère assez individuel pour nous tirer d’incertitude. Si au contraire je voyais quelque part des figures de demi-nature, cette proportion presque insolite à cette époque, et si dans le tableau où seraient ces figures je trouvais même touche, même modelé, mêmes expressions, même genre de composition que dans les grands triptyques de Bruges, alors, sans hésiter, je proclamerais l’auteur de ce nouveau chef-d’œuvre, n’y eût-il ni signature, ni tradition, ni aucun autre signe qui me le fît connaître, et dans ce cas l’affirmation me serait aussi facile que, dans l’autre, la réserve me semble obligatoire.

Or j’ai beau parcourir les principaux musées d’Europe et les plus riches cabinets, nulle part je n’aperçois ce frère de nos grands triptyques. Je ne le vois ni à Berlin, ni à Munich, ni dans aucune autre ville ou d’Allemagne ou de Flandre. Les Hemling qu’on me montre avec plus ou moins d’assurance sont tous des nains à côté de celui que je cherche. La taille, bien entendu, ne me suffirait pas pour établir une fraternité certaine ; mais on comprend qu’en cette circonstance elle est un signe de parenté tout à fait nécessaire. Je suis bien loin de contester que sous ce nom d’Hemling il n’y ait dans quelques galeries de délicieux tableaux ; mais tous ou à peu près sont de même famille que nos petits volets du Louvre, ou, s’il en est qui soient plus grands sans atteindre pourtant les proportions de la demi-nature, la manière dont ils sont peints, conçus et exécutés, le style, le dessin, la couleur, viennent détruire toute possibilité de les considérer comme de vrais Hemling. C’est ainsi qu’à Munich certains critiques, non moins éclairés qu’obligeans, voulant concilier les affirmations du livret avec leurs souvenirs de Bruges, en sont réduits à supposer qu’il aurait existé deux Hemling, de talent et de style tout à fait différens, à tel point que l’auteur des tableaux de Munich et le peintre de l’hôpital de Bruges n’auraient rien de commun que le nom. Ce que nous disons là des Hemling de Munich, il faut le dire aussi d’un tableau remarquable et plein de vraies beautés, mais d’une inégalité désolante, qui a récemment été légué[1] à la ville de Douai. On connaît l’origine de cette grande page qui se développe sur une longue série de volets : elle provient de l’ancienne abbaye d’Anchin ; mais l’idée de l’attribuer à Hemling n’a pris naissance que de nos jours, depuis que ce nom est à la mode. J’ai vainement cherché, en étudiant l’œuvre elle-même, une raison plausible de croire à cette attribution.

De si fréquens mécomptes m’avaient rendu comme incrédule. Aussi, lorsque dans ces dernières années j’entendis raconter qu’il

  1. Par M. le docteur Escalier.