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arts. Grand comptoir levantin et berceau de la peinture du nord, elle avait, elle aussi, contracté l’habitude du luxe, des étoffes, des goûts de l’Orient, et inspiré de bonne heure à ses peintres, avec le style idéaliste, le culte de la couleur. Un même courant commercial avait porté mêmes semences sous le ciel argenté de l’Adriatique et sous les brumes de la mer batave. Aussi remarquer-t-on la plus étrange analogie et comme un lien de parenté entre les premiers peintres colonais, les Wilhelm, les Stephan, et les Vénitiens primitifs, les précurseurs de Bellini, Tel trecentiste florentin ou même siennois ressemble infiniment moins à un vieux maître de Venise que l’auteur du Saint Géréon de la cathédrale de Cologne. Rien n’est donc moins difficile à reconnaître qu’une œuvre de l’école colonaise ; et tous les traits qui la caractérisent, ce goût des teintes fortes, des tons sonores, des riches draperies, des pierreries, des perles, des galons, de l’éclat oriental en un mot, s’unissant à cet aspect sérieux, à cette onction solennelle, à cette majesté pieuse que le catholicisme, au commencement du XVe siècle, communiquait encore presque universellement à l’art européen, ce mélange de pompe et d’austérité, de spiritualisme et de couleur, ne le trouvons-nous pas dans les trois figures à fond d’or de la chapelle de l’Agneau ?

Ce qui me frappe en elles avant tout, c’est qu’elles n’ont rien de flamand. Ce n’est pas un fruit du terroir, Il y a dans ce saint Jean, surtout dans cette Vierge, une noblesse, une grâce, une distinction, une suavité presque idéale, dont les beautés flamandes, même les plus parfaites, n’ont jamais dû donner l’idée. Nous verrons tout à l’heure dans le petit musée de Bruges la véritable Vierge du pays, la madone opulente et bourgeoise, chef-d’œuvre de Jean van Eyck, et de lui seul, car la date est 1436, dix ans après la mort d’Hubert, Cette madone est peinte encore plus savamment que la Vierge de Saint-Bavon : la touche est plus moelleuse, le modelé plus fin ; mais quelle santé, quel embonpoint ! quelle robuste ménagère ! N’est-il pas évident que l’auteur de cette Vierge-là n’a pas fait celle que j’ai devant les yeux, et que c’est bien à Hubert qu’appartient celle-ci ? Je la compare dans ma pensée aux Vierges italiennes du même siècle : ni les Boticcelli, ni les Lippi, ni même les Ghirlandaïo, n’ont donné à la mère de Dieu une piété si douce, une expression si noblement modeste. Et tous ces maîtres, notez bien, étaient à peine enfans, et Fra Angelico lui-même était encore novice, ou tout au plus profès à San-Marco, lorsqu’en 1426 Hubert mourait à Gand. Ce n’était donc pas en Italie qu’il avait pris ses modèles, ce n’était pas même à Cologne, car, tout en respectant jusqu’à son dernier jour ses souvenirs de jeunesse, à quelle distance de ses maîtres n’était-il pas déjà ! Où trouver un morceau comparable à ces trois figures dans l’école entière de Cologne ? N’oublions pas enfin qu’il y