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vrais fondateurs de l’école, les deux van Eyck par exemple, quelles sont les galeries d’Europe qui enseignent à les connaître ? Ce n’est pas notre Louvre, bien que je croie à l’authenticité de ce petit tableau, le seul dont chez nous on fasse honneur à Jean van Eyck ; ce n’est pas même le musée de Munich ni celui de Berlin, bien qu’ils soient l’un et l’autre, et le dernier surtout, plus riches en ce genre qu’aucun autre : c’est avant tout une église de Flandre. Là seulement les deux patriarches de la peinture moderne se révéleront à vous dans leur toute-puissance, dans leur éblouissante naïveté.

Supposez qu’il n’y ait pour un voyageur aucun motif d’aller à Gand, que cette grande ville, plus d à moitié moderne, ne soit ni la patrie de Charles-Quint, ni l’ancien et tumultueux théâtre des mémorables luttes de la bourgeoisie flamande ; qu’elle n’ait conservé pas un pan de muraille historique, ni son beffroi, ni son hôtel de ville, pas un de ses canaux ni de ses anciens ponts, pas un de ses pignons sculptés à l’espagnole ; que dans ses rues longues et tortueuses il n’y ait plus rien à voir que de rares habitans : il n’en faudrait pas moins venir à Gand, ne fut-ce que pour passer deux heures, à Saint-Bavon. À lui seul, Saint-Bavon vaut vraiment le voyage, moins pour l’édifice lui-même que pour. le trésor qu’il renferme. C’est une grande église, svelte, hardie, comme toute église du XVIIIe siècle, mais habillée à la moderne au moins jusqu’à la ceinture. Si vous levez la tête, vous reconnaissez les voûtes, les arêtes, les nervures, les chapiteaux du grand siècle de l’art chrétien ; si vous regardez devant vous, tout est changé ; plus d’élégance, plus de légèreté ; les supports élancés qui soutiennent la voûte sont comme emprisonnés jusqu’au tiers de leur hauteur par un épais revêtement de marbre noir et blanc, dressé, taillé, sculpté dans le goût et selon les profils de la renaissance espagnole. Cette décoration se prolonge sur le chœur tout entier, en dehors comme en dedans, et sur toutes les chapelles latérales. On dirait une église tendue de deuil en permanence, tenture magnifique, imposante, mais froide et lourde encore plus que lugubre. Ce n’est pas pour cette marbrerie, si précieuse et bien travaillée qu’elle soit, que je vous ai fait venir, pas même pour ce long cordon d’écussons peints et dorés qui sert de couronnement à l’intérieur du chœur : bigarrure pittoresque et curieux assemblage, qui nous rappelle que Philippe II a tenu dans ce chœur un splendide et dernier chapitre de l’ordre de la Toison-d’Or. Rien de plus fier, de plus original, comme ornement d’église, que cette frise héraldique ; mais nous avons mieux à faire que d’en étudier les blasons. Je vous conduis à l’une de ces chapelles aux portes de bronze et aux cloisons de marbre, la cinquième a main droite, à partir du transsept. Si le bonheur veut qu’il soit