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souhaitant à Madison une semblable bonne fortune sans trop y compter. « Si la paix peut être maintenue, lui écrivait-il le 17 mars 1809, j’espère et je compte que vous aurez une administration facile. Je ne connais aucun gouvernement qui fut plus embarrassant à conduire en temps de guerre que le nôtre, en partie à cause du caractère licencieux et menteur de nos journaux, mais beaucoup aussi à cause de la crédulité merveilleuse avec laquelle les membres du congrès accueillent tous les mensonges courans, … mal qui va s’accroissant à mesure que les sessions se prolongent, et en temps de guerre les sessions tendraient bien vite à devenir permanentes. » Le prudent Madison n’était pas plus que son prédécesseur pressé de se donner de tels embarras ; il sentait d’ailleurs fort bien qu’une guerre avec la Grande-Bretagne serait la condamnation du système de paix non armée auquel il avait donné son concours, qu’elle prouverait l’inefficacité des embargos, qu’elle trouverait l’Amérique très peu préparée à soutenir la lutte. La lutte n’en devenait pas moins de jour en jour plus difficile à éloigner. Le vice radical de la politique adoptée par Jefferson était précisément de produire avec le temps le mal qu’elle se proposait d’éviter à tout prix. Les humiliations et les sacrifices excessifs qu’elle imposait au pays pour le soustraire à la nécessité de tirer l’épée ne pouvaient qu’accroître le mépris des Anglais pour l’Amérique et la haine des Américains pour l’Angleterre. Un parti de la guerre puissant, irrésistible, se forma en effet au sein même du parti républicain. Madison vit que sa réélection à la présidence serait compromise, s’il ne cédait pas au courant : il se laissa aller à la dérive. Comme lui, Jefferson avait pour règle de ne jamais se séparer de la masse, « de poursuivre le bien public en marchant, avec la foule, le long des chemins battus. » Il salua la guerre avec enthousiasme, et son optimiste imagination lui représenta aussitôt les Anglais et les Espagnols chassés du continent américain, la Grande-Bretagne bouleversée par une révolution intérieure, puis ramenée par ses épreuves au sentiment du droit, et ne pesant plus dans les affaires du monde que pour y maintenir l’équilibre et pour remettre à l’ordre « son ancienne rivale en scélératesse. » Rien ne l’arrêtait dans ses rêves victorieux. Sans doute l’ennemi serait maître de la mer, mais on pouvait, on devait la lui livrer : les États-Unis n’avaient que faire d’une marine des partisans de la Grande-Bretagne pouvaient seuls proposer de la combattre sur son élément ; l’élément des Américains, c’était la terre américaine, et sur la terre américaine ils étaient irrésistibles. L’invasion du Canada ne serait qu’une marche ; Halifax donnerait plus de mal à enlever, mais ce serait l’affaire de quelques mois ; New-York pourrait être brûlé par la flotte britannique, mais le gouvernement