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durant trois semaines et s’imaginer de bonne foi qu’il n’y a point de soldats en Angleterre. Quelques rares sentinelles placées à l’entrée du palais de la reine et, de loin en loin, devant un petit nombre de monumens publics, voilà tout ou à peu près tout ce qui apparaît de la force armée. Les soldats isolés qu’on rencontre par hasard dans les rues, rari nantes m gurgite vasto, se confondent sous leur habit rouge avec le reste de la population, tant ils ont l’air tranquille et inoffensif. Sans armes (car on a voulu leur enlever toute tentation de s’en servir), ils se promènent pour la plupart avec une petite baguette à la main. On est libre de trouver qu’au point de vue pittoresque cette simple tenue ne fait point valoir le caractère extérieur du soldat ; mais ne témoigne-t-elle pas d’une idée de respect pour la dignité ou, si l’on veut, pour la jalousie des autres citoyens ? Les fêtes de la cour, telles que les mariages, les naissances, les baptêmes, se passent également sans appareil et sans fracas militaires. Cette absence de troupes ne tient point à un sentiment d’indifférence, elle tient à une division tranchée entre le département de la guerre et l’ordre civil. Il y a bien, il est vrai, de temps en temps des revues à Hyde-Park, où la cavalerie et l’infanterie défilent avec un grand luxe d’uniformes, un bruit de fanfares et de tambours ; mais chacun sent que ces exhibitions de forces n’ont pas lieu pour amuser la population, ni pour exciter l’ardeur martiale de la jeunesse. C’est un devoir social qui s’accomplit, ce n’est point un spectacle. Où découvrir dans la capitale les traces d’une intervention militaire destinée à protéger l’état ? Les institutions anglaises se gardent elles-mêmes par leur majesté, A ma connaissance, il n’y a qu’un monument qui ait appelé et motivé quelques dispositions stratégiques. On devine bien que ce n’est point le palais de la reine. Cet unique point fortifié est l’hôtel de la Monnaie, Mint. À un angle de la Tour de Londres, un vieux soldat m’a montré quelques pièces de canon pointées sur les remparts, et qui, dans le cas d’un coup de main, balaieraient la place située devant l’édifice voisin où se frappe l’or et l’argent. La seule insurrection qu’on ait prévue à Londres, et contre laquelle on ait cru utile de prendre certaines mesures de sûreté, est une insurrection de voleurs.

Ce caractère d’une armée entièrement vouée à la défense et aux intérêts du pays nous aidera en outre à comprendre le genre de sympathie qui s’attache aux troupes britanniques. En temps de paix, l’Anglais regarde le soldat avec assez d’insouciance : les grandes ailes de la nation sont alors l’industrie et le commerce ; mais les armes du royaume-uni se trouvent-elles engagées sur quelque point du monde dans une question d’honneur ou d’influence, tout change aussitôt. Une presse aux cent voix suit avec anxiété le mouvement des