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militaire. La plupart des vêtemens sont fournis chaque année par voie de contrats ; le gouvernement a néanmoins établi un atelier de tailleurs, et quoique l’entreprise soit récente, elle promet de porter de bons fruits au point de vue de l’économie. L’état vers 1857 a fait confectionner pour la somme de 7,700 livres sterling une massé d’uniformes d’infanterie qui, sous le régime des contrats, lui serait revenue à 10,800 liv. sterl. L’avenir prononcera en dernier ressort sur une question qui est encore à l’étude : l’état doit-il se substituer aux industries privées dans ce qui regarde l’équipement des troupes ? Ce que réclame aujourd’hui l’opinion publique, c’est un système sage et libéral de fournitures qui entretienne l’armée sur un pied respectable, tout en écornant le moins possible par des retenues le shilling quotidien. Quand certains articles de toilette ont fait leur temps, ils appartiennent au soldat, c’est ce que les Anglais appellent un perquisite, et le soldat est libre de les vendre. Cette circonstance explique le grand nombre de tuniques rouges que dans les foires anglaises on voit, non sans tristesse, courir sur le dos des saltimbanques et des cheap jacks. Je ne pousserai pas plus loin l’inventaire des divers articles d’utilité personnelle que procure aux troupes l’administration militaire. Il me suffira de dire que, tout compté, l’armée anglaise est de toutes les armées européennes celle qui, eu égard au nombre des soldats, coûte le plus cher à l’état[1]. Ce fait est la conséquence de l’enrôlement volontaire, et aussi de ce principe tout anglais, admis déjà du temps de Cromwell : « Mieux vaut un petit nombre d’hommes bien tenus et contens de leur sort qu’un grand nombre de souffrans et de mécontens. »

Le soldat étant un être intelligent, l’état lui doit en outre une certaine culture morale. La Grande-Bretagne a fait, surtout depuis ces dernières années, des progrès réels dans cette voie. Le général Foy représenté dans ses mémoires le soldat anglais comme une bête brute animée par une sorte de courage aveugle et borné ; j’ai de la peine à reconnaître dans cette peinture les traits du modèle que j’ai devant les yeux. Ou le jugement du général français a été obscurci par des haines nationales admissibles jusqu’à un certain point après 1815, ou, comme je serais plutôt disposé à le croire, le caractère du soldat anglais a bien changé depuis ce temps-là. Il existe aujourd’hui un inspecteur-général des écoles militaires, qui a pour mission de visiter les casernes et les garnisons du royaume. Il se met ainsi en rapport avec l’état de l’éducation dans l’armée et propage les intentions du gouvernement pour le développement moral

  1. Il est peut-être curieux de voir la proportion des frais militaires des divers pays exprimée par des chiffres. En Angleterre, chaque soldat coûte par an à l’état 52 liv. sterl., en France 36 liv., en Russie 13 liv. 5 shill., en Autriche 18 liv., 10 shill., en Prusse 31 liv., en Belgique 38 liv., en Sardaigne 32 liv., en Turquie 10 liv. 15 sh.