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par le gouvernement. Dans cette étude de la vie militaire anglaise, il sera donc tout naturel de rechercher les devoirs que l’état s’impose envers le soldat et ceux que le soldat contracte envers l’état. Une des obligations du royaume est de mettre ceux qui le servent à l’abri du besoin. Il y a un principe tout anglais, admis par la plupart des entreprises industrielles, c’est qu’un homme bien payé, bien nourri, bien entretenu, en vaut deux. Ce principe est aussi celui que le gouvernement semble avoir adopté pour base dans la constitution de son armée. L’Angleterre est de tous les états de l’Europe celui qui, eu égard à la population, a le moins de soldats, et c’est aussi celui qui les paie le mieux[1]. Cette solde a pourtant donné lieu à plusieurs objections. Le chiffre nominal est 1 shilling par jour ; en réalité, le soldat ne reçoit point tout cet argent ; on lui en retient une partie pour sa nourriture. Ce système de réductions, connu sous le nom de stoppages, est généralement blâmé. Il a pour principal inconvénient d’induire en erreur quelques recrues qui s’imaginaient naïvement toucher l’intégrité de leur paie, et qui à leur entrée dans le régiment éprouvent une désillusion fâcheuse. L’état ne prête pas sans doute les mains à la fraude ; mais en est-il ainsi des agens subalternes du recrutement ? La vérité est qu’ils se gardent bien d’éclairer le recrue sur ce point délicat, et qu’ils font au contraire briller le shilling dans toute sa rondeur, comme le chasseur fait miroiter les verres aux yeux de l’alouette. Malgré les retenues, il reste au soldat anglais, dans les régimens de ligne, 3 pence par jour pour ses menus plaisirs, tandis que le soldat français ne, reçoit guère que 3 sous. Où donc est alors le motif de recourir à une fiction qui altère dans certains cas la dignité des rapports entre l’état et le recrue ?

La solde journalière n’est point le seul attrait dont se serve l’administration militaire pour attacher le soldat à ses devoirs. Il y a, sous le nom de good conduct pay, une rémunération d’un penny par jour et au-delà pour les hommes qui se sont distingués par leur bonne conduite dans le service ; il y a en outre dans certaines occasions le pourboire, béer money, et un supplément de solde, fatigue pay, pour les militaires engagés comme ouvriers dans les travaux publics ;

  1. Un assistant commissaire-général, M. Barrington de Fonblanque, qui a publié en 1858 un excellent ouvrage, commencé en 1857 d’après les conseils du ministre de la guerre, lord Panmure, sur l’administration et l’organisation de l’armée anglaise, détermine cette proportion par des chiffres. On compte en Angleterre 1 soldat pour 128 habitans, en France 1 pour 95, en Russie 1 pour 72, en Autriche 1 pour 68, en Prusse 1 pour 80, en Espagne 1 pour 119, en Belgique 1 pour 115, en Sardaigne 1 pour 119, en Turquie 1 pour 74. La moyenne annuelle de la solde pour toutes les armes est en Angleterre de 20 liv. sterl. 5 shill. pour les soldats, 37 liv. sterl. 12 shill. pour les sous-officiers. — En France (j’évalue dans la même monnaie), elle est de 9 liv. sterl. 10 shill. pour les soldats, 24 liv. sterl. pour les sous-officiers.