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devant l’officier de santé[1], et qu’il soit conduit devant un magistrat pour être ce que les Anglais appellent attested. Là, le magistrat lui demande s’il persévère dans la résolution d’être soldat. Le recrue peut dire non, et dans ce cas il doit se libérer en rendant dans l’espace de vingt-quatre heures l’argent qu’il a reçu pour l’enrôlement, enlisting money, et en payant de plus la somme de 20 shillings, smart money, avec les frais de subsistance durant les deux ou trois jours, qu’il a vécu à la charge du gouvernement. Si au contraire le recrue répond oui, le magistrat lui lit quelques articles de la loi, ainsi que la formule du serment de fidélité, oath of allegiance. Le jeune homme jure sur la Bible, et dès lors le pacte est conclu : il est désormais soldat pour dix ans dans l’infanterie, pour douze ans dans la cavalerie ou l’artillerie[2]. Tout individu qui, après avoir reçu le montant de la somme allouée aux enrôlement, se cache ou refuse de se présenter devant le magistrat dans le délai de quatre jours est considéré comme s’il avait prêté serment, et il peut être puni comme déserteur.

Le sergent recruteur est un type bien anglais ; mais ce n’est point dans les grandes cités, où tout s’efface en quelque sorte par le frottement, qu’il faut l’étudier. Dans les villages éloignés des centres de population, et surtout les jours de foire, l’arrivée d’un sergent recruteur produit sur les naïfs habitans l’effet que cause dans les villes l’arrivée de tout un régiment. Les femmes et les enfans sont sur le seuil de leur cottage, et le regardent passer avec de grands yeux où se peint un sentiment bien naturel de curiosité mêlé de crainte respectueuse. Tout, il est vrai, chez ce nouveau personnage contraste avec l’humble costume et les manières gauches des paysans qui l’entourent. On admire la pompe de son brillant uniforme, l’aigrette de rubans qui flotte à son shako, et qui est au sergent recruteur ce qu’est l’enseigne à une boutique, sa taille imposante, la solennité méthodique de ses gestes, sa démarche, qui rappelle volontiers celle du coq, les fioritures de son salut militaire, et jusqu’à cette raideur de tenue qui auprès des gens simples passe aisément pour de la majesté. Le métier de recruiting sergent réclame d’ailleurs des qualités spéciales, un coup d’œil sûr et perçant, une certaine connaissance des hommes, un aplomb imperturbable. De même que les animaux chasseurs, le lion et le renard, tendent leurs embûches au bord des ruisseaux, ainsi c’est dans l'ale-house que le sergent recruteur établi, son quartier-général et qu’il cherche à attirer son gibier. Là il trône, il pérore, il éblouit. On pense bien qu’il présente toujours le roman de la vie militaire par le beau côté. Ses

  1. Le tiers environ des individus qui s’enrôlent volontairement est rejeté pour défauts physiques, mauvaise constitution et autres causes.
  2. Au commencement de ce siècle, les engagemens se faisaient pour un temps illimité.