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sortit entière des délibérations de 1848. Le président de la république resta investi de plus de pouvoirs et de fonctions que plus d’un roi de l’Europe. Ce n’est pas la peine de dire que la révolution qui suivit n’eut pas pour objet de diminuer les droits de l’état. L’unité prit une nouvelle forme, fit de nouveaux progrès, gagna un nouveau terrain. Un seul pouvoir, le plus concentré de tous, s’agrandit, et la volonté d’un seul occupa plus de place que la délibération de plusieurs. On distingue en philosophie deux principes, l’autorité et l’examen ; ils ont leurs équivalens dans la politique. Il ne paraît pas que les nouveaux systèmes électifs aient eu pour effet de fortifier l’examen. Il est certain que les nouvelles formes des corps délibérans ont eu pour résultat de fortifier l’autorité. Or ce qu’on appelle par excellence autorité dans notre pays, c’est la centralisation, et voilà pourquoi ce sujet est plus que jamais à l’ordre du jour.

Il faut le redire, c’est quelque chose de grave que la persistance de ce fait stable au milieu des révolutions. La centralisation, dans le procès qu’on lui intente, se présente avec un possessoire des plus respectables. Ce que l’histoire explique, ce que les lois ont sanctionné, ce que des partis fort différens ont épargné, ce que l’usage a fait passer dans les mœurs publiques, ne peut être traité comme un accident précaire, et de même qu’il n’y faut toucher qu’avec réflexion, il en faut juger sans prévention. Le fait est même tout jugé, il est réel, important, vivace. Reste à juger du droit et de l’utilité.


IV

Il semble qu’avant de prononcer, une question générale devrait être résolue. Quel est le domaine légitime de la puissance publique ? On connaît la distinction anglaise du système coercitif et du système volontaire. Dans quels cas l’un ou l’autre doit-il être appliqué ? Le départ n’est pas aisé à faire. La théorie peut concevoir une société abandonnée à elle-même pour son ordre intérieur. Elle se régirait comme une famille bien réglée. Ce serait quelque chose d’analogue au régime patriarcal, dans lequel au reste il y avait une certaine autorité ; mais tout cela, c’est de l’idéal pour les sociétés actuelles, Elles ont de temps immémorial besoin de lois et de pouvoirs. Toutefois ce besoin varie avec les lieux et les temps. Ce qui est nécessaire à l’une peut ne pas l’être à l’autre. Chez l’une la force publique surabonde, chez l’autre elle fait défaut. Elle diffère de forme et de degré, et l’on n’assignerait pas avec précision la limite invariable où doit s’arrêter l’intervention gouvernementale. Seulement on peut indiquer à quelles conditions générales elle est soumise. Il faut d’abord qu’elle soit praticable, qu’elle soit nécessaire ou du moins utile,