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manières de toucher à la centralisation. Elle n’est jamais si absolue qu’elle n’admette des autorités locales, au moins par la résidence. On décentralise en touchant soit à leur origine, soit à leurs attributions, en leur donnant ou plus d’indépendance ou plus de pouvoir. La première chose, et c’est la plus importante, est celle que la monarchie de 1830 a faite en rendant électifs les conseils des départemens et des communes. Cette réforme si naturelle, qu’on a peine à comprendre comment elle avait pu tarder si longtemps, ne pouvait manquer de réussir ; aucune réaction ne l’a encore emportée. On a pu affaiblir, non supprimer en ce genre ce qui existait. Il est vrai que le règlement des attributions, quoique fait dans un esprit libéral et judicieux, n’a pas beaucoup augmenté l’importance et l’action des corps de délibération locale. Quoique leur pouvoir fût loin d’être insignifiant, sur l’extension de ce pouvoir la discussion reste ouverte. En même temps l’expérience a prouvé que l’existence ces délibérations locales ne diminue pas le nombre des affaires de la puissance publique et des questions dans lesquelles il faut qu’elle intervienne. Il y a même eu accroissement en ce genre, et cet accroissement semble lié aux progrès mêmes de la civilisation. Le système représentatif n’y met pas obstacle ; au contraire, il est par inclination centralisateur, quoiqu’il se crée par là des embarras, de l’encombrement, des dangers. Aussi nous a-t-on reproché de nous être trop confidemment abandonnés sur cette pente. Sans aucun doute nous n’avons pas laissé le pouvoir central désarmé ni démuni. Peut-être n’en était-il pas plus fort ; il en était moins libre, assurément. Quoi qu’il en suit, la république, comme on sait, ne répudia point l’héritage. Ce n’est pas en général le penchant de la démocratie que de faire fi de l’unité, de lâcher la force qu’elle tient, et d’hésiter à donner au pouvoir un volume qui croît avec la masse qu’il représente. Pour qu’en 1848 on demeurât centralisateur, il y avait de bonnes et de mauvaises raisons. D’abord l’amour de l’ordre, qui alors se déploya en France avec une énergie admirable, ne pouvait consentir aisément à l’abandon d’un seul des moyens d’action qui paraissaient utiles contre l’anarchie, et l’assemblée constituante aurait craint de donner aux clubs tout ce qu’elle aurait enlevé au gouvernement. Puis l’élément spécial et nouveau que la crise de février mit en lumière, le socialisme, si bruyant alors, est précisément une doctrine ultra-centralisatrice ; ce qui le caractérise est de tendre à transporter la vie privée dans la vie civile, et l’ordre civil dans l’ordre politique. Cette multitude d’intérêts individuels qu’il voulait élever au rang d’intérêts généraux promettait autant d’attributions nouvelles au gouvernement. Ainsi l’esprit conservateur et l’esprit socialiste veillaient à l’envi sur la centralisation, qui