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qu’on est plus impatienté de son obstination que touché de son indépendance, et que l’insolence capricieuse de la cour ne parvient pas à nous intéresser à une résistance qui n’est bonne à rien. L’esprit du temps, puissant à Paris, pénétrant par les salons dans la sphère du gouvernement, y trouvait plus d’accès qu’il n’eût trouvé d’appui dans les débris d’institutions semblables à des fortifications en ruines. Aussi, quand l’assemblée constituante parut, ne fut-elle pas arrêtée un moment par le respect de ces résistances surannées, « de cette foule d’institutions domestiques et de magistratures indépendantes que la vieille société portait dans son sein. » Ces faisceaux des droits privés, vraies républiques dans la monarchie, qui inspiraient à M. Royer-Collard une admiration un peu gratuite, était comme un outillage vermoulu qui disparut en laissant peu de regret. Ce parlement, qui naguère se portait fort pour la nation et décrétait la révolution même, expira sans défense, et cette révolution craignait tant ou estimait si peu le contrôle de l’administration par la judicature, qu’elle prit toute sorte de précautions pour l’abolir, et posa les bases d’un ordre judiciaire peu différent du plan du chancelier Maupeou. Le coup d’état d’un magistrat absolutiste devint la réforme d’une assemblée populaire. Les états provinciaux, les vieilles municipalités, les corporations ou juridictions spéciales n’obtinrent ni plus d’égards ni plus de pitié, et la toute-puissance, concentrée sous une nouvelle forme, avec tout l’ascendant d’une populaire origine, jeta la France, pulvérulente dans le moule de l’uniformité. Or avec l’uniformité avait jusqu’alors rarement frayé l’indépendance ; imposer, avec une facilité et une rapidité inouïes dans l’histoire, une transformation identique à toutes les localités d’un pays, c’est un précédent qui ne crée pas toujours la liberté, même lorsqu’il la proclame. La dictature, même au service d’une révolution libérale, dépose par son exemple contre ses principes ; elle court risque d’être plus souvent imitée dans son procédé que suivie dans son esprit. En vain espérait-on infuser aux nouvelles créations municipales, départementales, judiciaires, la vie et l’indépendance avec le principe de l’élection. L’élection elle-même n’est une garantie de liberté qu’avec la liberté ; elle la suppose et ne la produit pas toujours. Ainsi la convention put, du haut de la citadelle de la centralisation, étendre au loin la terreur de son irrésistible volonté. Loin qu’elle conçût la diversité comme une liberté permise, elle décréta l’unité ou la mort ; loin qu’elle admît la possibilité ou la légitimité des résistances partielles, elle fit du fédéralisme le plus grand des crimes, et elle en jeta l’imputation mensongère à tous ceux dont elle voulut la perte. Le fédéralisme fut pour la centralisation le crime de majesté de l’empire romain. Ce que l’unité avait fait, l’unité seule