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rance de liberté. Les deux choses qui le rassurent ne nous tranquillisent pas. D’abord il croit que l’Anglais, indépendamment du génie de sa race, a été comme obligé de se rendre libre par l’excès de despotisme qui est résulté de l’avènement de Guillaume de Normandie. Cette tyrannie a eu l’avantage de ne pouvoir être supportée, et le progrès en Angleterre a été de constituer la nation à côté de la royauté. Nous donc, ce qui nous a manqué pour être libres, c’est le despotisme. Hélas ! qui l’aurait cru ? L’autre consolation qui nous est offerte, c’est qu’un peuple qui se montre dans son histoire aussi constamment frondeur que nous, parfois même mutin et séditieux, ne pouvait être destiné à la servitude politique. Que faire, si même le tempérament insurrectionnel ne nous a servi de rien ? Je crains que le despotisme continu qui ne se fait que haïr n’enseigne point à être libre, et que le goût de la révolte ne soit pas l’ambition de se gouverner. Il faut donc puiser nos espérances à d’autres sources et rattacher à d’autres causes la différence de destinée politique entre deux nations si voisines, et qui ont tant de rapports, car, malgré tout, les Français ont eu depuis trois siècles plus de points communs avec les Anglais qu’avec les Espagnols ou les Allemands.

Entre autres choses, on pourrait dire que l’Angleterre n’a pas été mise, comme la France, au régime des grands vassaux, et que la royauté de Londres n’a pas été condamnée à guerroyer si longtemps pour composer son royaume. Conquis et formé en une fois, il n’en est pas moins devenu à plusieurs reprises dans la guerre civile le prix de la victoire ; mais, disputé entre des ennemis plus faibles, il n’a pu l’être au mépris des griefs ou des vœux de la nation. Tout le monde a eu besoin d’elle pour être quelque chose. La noblesse disséminée dans un petit pays, séparée du peuple par des privilèges moins exorbitans, s’en est rapprochée peu à peu, et sans qu’on puisse aisément dire quand ni comment le vasselage des vilains a disparu dès le XIIIe siècle. Obligés de compter avec elle et de se maintenir entre les partis, ces rois normands eux-mêmes, si rudes parfois dans leurs allures, n’avaient jamais eu la prétention de régner sans Consulter personne, et de tenir le public en dehors de tout. Il y a eu de bonne heure en Angleterre, il y a subsisté constamment, au centre une délibération, dans le pays un droit commun. Des nobles moins haïs et moins puissans s’unissaient pour se défendre ou s’appuyaient sur le peuple, et offraient moins de prise à la royauté, qui ne trouvait point partout des tyrannies particulières à détruire, des masses à séduire par la substitution de l’uniformité dans l’arbitraire à des oppressions multiples. Sa volonté n’apportait pas la loi avec elle, mais la trouvait toute faite et résistante ; rarement elle pouvait s’armer contre les mécontens et les ambitieux de