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néral des choses ; mais je proteste contre l’optimisme historique. Quoique, dans les circonstances données, tout ce qui a réussi dût réussir, tout ce qui a échoué dût échouer, il ne s’ensuit pas que tout soit comme il doit être, qu’il faille souscrire avec allégresse à l’arrêt des événemens, et que la fortune puisse être exonérée de toutes les imprécations dont la chargent de temps immémorial la raison déçue et la vertu malheureuse. Au fond, l’optimisme historique est un nom plus décent du fatalisme. Pour avoir vu et montré comment certains faits ont découlé naturellement d’autres faits constatés, on se vante d’avoir surpris à l’œuvre la nécessité. Comme rien n’est moins tentant que de contester avec la nécessité, comme par faiblesse ou vanité nous aimons à nous ranger de son parti, nous nous hâtons de saluer partout cette reine du monde, et, triomphant à sa suite, nous nous croyons généreux dans la victoire d’accorder quelque peu d’estime et de pitié aux honnêtes imprudens qui lui ont résisté ou qui succombent en protestant. Il est rare que la science historique la plus sincère et la plus pénétrante n’ait pas à lutter contre de telles tentations, et qu’elle résiste au plaisir de déclarer inévitables les événemens dont elle a retrouvé l’enchaînement, quelquefois même de se donner, en les expliquant les uns par les autres, pour la confidente des vues de la Providence. La suite des faits bien étudiée ressemble à une déduction, et en bonne logique la déduction n’est-elle pas toute-puissante sur notre esprit ?

Ce n’est pas défaire l’histoire de France que de la juger ; ce n’est pas une nouvelle façon de la lire que de ne pas trouver merveilleux de tout point qu’elle ait employé tant de siècles à produire un régime dont ceux qui l’admirent le plus célèbrent la destruction comme l’œuvre la plus belle et la plus nécessaire. S’il est difficile d’échapper aux illusions du fatalisme historique, si l’optimisme qui l’accompagne a ses séductions, c’est surtout quand il s’agit de l’histoire de la patrie. Il est très doux de prononcer que le pays a eu raison de faire tout ce qu’il a fait, et que, tout balancé, on est membre de la plus heureuse et de la mieux avisée société du monde. Chose singulière toutefois que cette appréciation soit particulièrement venue à des écrivains fort éloignés de désavouer la révolution française, c’est-à-dire la plus vive, la plus cruelle, la plus solennelle réprobation que jamais nation ait exprimée de son passé ! Il a fallu se montrer bien ingénieux pour sauver cette contradiction dont la grosseur sautait aux yeux. On s’en est généralement tiré en distinguant l’ancienne société de l’ancien régime. Tantôt on a dit que l’une était toute bonne, tout le mal étant du côté de l’autre, quoiqu’il fût difficile d’expliquer comment l’unité, cette chose si grande et si salutaire, faisait tant de bien d’un côté et tant de mal de l’autre, comment