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donnèrent à la France les îles caraïbes, tout l’honneur des entreprises appartient à de simples particuliers. Ils les occupèrent et les administrèrent avant la royauté, qui les reçut de leurs mains. Entraînés vers la métropole par leurs sympathies comme par le danger de l’isolement, les colons n’en résistèrent pas moins sans cesse à des prétentions absorbantes. Lorsque les circonstances amenèrent les colonies à s’administrer elles-mêmes, elles y montrèrent autant d’aptitude que leurs voisines anglaises, comme font encore aujourd’hui les populations du Canada et de Maurice. Toute la différence est dans les gouvernemens, dont les uns aiment et favorisent la liberté des sujets, tandis que les autres y répugnent. Par une rencontre malheureuse, la fondation des colonies françaises a coïncidé avec l’avènement du despotisme royal et de la centralisation administrative, tandis que les colonies anglaises ont eu la chance de naîtr3 et de grandir sous les auspices de la liberté métropolitaine.

En reprenant les nobles traditions de leurs pères, les colons des Antilles retremperont leur énergie au spectacle de leur propre valeur et des richesses de leur territoire. L’histoire dont nous avons indiqué les points saillans raconte en effet à toutes ses pages la fécondité réparatrice de la nature dans cet archipel tropical. En même temps la science économique de nos jours éclaire toutes les faces de ce cadre étroit, mais plendide, où s’agitent les plus difficiles problèmes des sociétés modernes : l’accord en un peuple homogène des races diverses, l’organisation du travail par la liberté, l’immigration sans ses abus, le ralliement à la culture et à la famille des noirs affranchis, la liberté commerciale avec la dépendance politique, l’autonomie coloniale avec la suprématie métropolitaine, la sécurité stratégique par les forces locales, en un mot la recomposition, par l’esprit des temps nouveaux, d’une société avortée avec l’esclavage, décomposée par l’émancipation. L’œuvre est ardue sans doute ; mais à qui sont réservées les grandes missions dans l’humanité, si ce n’est aux grands peuples ?


JULES DUVAL.