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ne sera jamais libre, L’oppression elle-même pourra devenir liberté grâce à son origine, et la tyrannie populairement votée ne sera plus la tyrannie, tandis que le plus grand prix de la liberté politique est d’être la garantie de la liberté civile.

Si le hobbisme est, ainsi qu’on l’a dit, un chef-d’œuvre de logique, on ne peut impunément lui prendre quelque chose sans être accablé sous le fardeau du tout. Quand vous aurez défini le gouvernement la discipliné qu’il faut à des êtres égoïstes d’une race égoïste, cultivés d’ailleurs par des exemples et des préceptes dégoïsme, il vous restera peu de terrain pour combattre le despotisme. Toute limite que vous poserez à la discipline qu’il faut sera de pure grâce, une inconséquence généreuse, une généreuse imprudence. Pour légitimer et magnifier le gouvernement, on nous dit que l’égoïsme est un instinct dominateur, maître de l’âme humaine tant que la loi ni le pouvoir n’ont point parlé. Peu s’en faut qu’oubliant vingt passages où le contraire est affirmé, on ne réduise à ce principe de l’égoïsme l’homme individuel. C’est, je ne veux pas dire une tactique, mais une tentation des partisans d’une grande prépondérance de la force sociale sur la liberté personnelle que de flétrir de ce nom ingrat à égoïsme jusqu’aux sentimens qui animent l’homme dans la défense de son indépendance et le soin de sa dignité. Il semble que toutes les fois qu’il n’invoque pas l’intérêt social, le bien de l’état, l’avantage du grand nombre, il n’obéisse qu’à une odieuse personnalité, et l’on réduit ainsi toute la vie sociale à une lutte entre deux forces, l’état et l’individu ; on fait l’un tout dévouement et l’autre tout égoïsme. Cette théorie est commode pour la discussion, mais est-elle exacte ? Si l’homme en lui-même n’est juste, bienveillant, généreux, moral qu’autant qu’il est gouverné ! comment le deviendrait-il dès qu’il serait gouvernant ? Par quel miracle la lumière lui arriverait-elle, avec le pouvoir, et quelle chance que l’égoïsme l’abandonnât, parce qu’il acquiert plus de moyens de le satisfaire ? L’histoire n’a point prouvé que l’humanité devînt nécessairement meilleure en devenant plus puissante. Si l’homme est avant tout dominé par la passion de tout sacrifier à lui-même, la situation est désespérée. La société est un bois où se déchirent des animaux sauvages, et tout gouvernement est la cour du lion.

Le vrai, c’est que ni la société ni le gouvernement ne sont aussi radicalement détestables, parce que l’homme n’est pas aussi essentiellement mauvais. Tout est faible, imparfait, passionné même et violent. L’individu a besoin de la société, de la loi, du pouvoir : il n’a pas trop de tous ces appuis et de tous ces freins ; mais le pouvoir, la loi, la société ont encore plus besoin de la nature humaine. Si la raison et la conscience n’existaient pas, ce n’est aucun gouvernement