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le christianisme germanique, énonçait avec une rare fermeté les vues qui depuis sont devenues des axiomes sur la nature de la croyance religieuse, Plus tard, une influence d’études supérieures, venue surtout de Strasbourg, a renouvelé la tradition des savantes écoles réformées du XVIe et du XVIIe siècle. Le protestantisme français tout entier finira par comprendre que, s’il n’est pas la religion libre, il n’a pas de raison d’exister, que le siècle ne se fera pas calviniste, qu’il ne quittera pas l’église pour la Bible, le concile de Trente pour le symbole de La Rochelle. L’ancien protestantisme confessionaliste et national peut rendre de grands services comme pépinière d’hommes éclairés ; mais comme secte particulière il ne peut aspirer à un bien grand avenir.

Le catholicisme, avec la fière audace de ses affirmations et l’idée exagérée qu’il a de ses droits, ne se prêtera point à d’aussi faciles transformations. Il traversera de longs déchiremens avant de renoncer à son règne terrestre, à son khalifat anti-chrétien. Pour dire toute ma pensée, j’avouerai qu’un schisme entre les élémens opposés que le catholicisme renferme dans son sein me semble difficile à éviter. Le parti politique, s’enfonçant de plus en plus dans les intrigues, et le parti sincère, froissé de plus en plus par cette confiance exclusive accordée aux moyens humains, finiront par s’apercevoir qu’ils n’adorent pas le même Dieu. Le moindre malentendu, habilement secondé, qui s’élèverait à la mort d’un pape (qu’on veuille bien relire les deux premières pages de l’histoire du grand schisme d’Occident) ferait passer la scission intérieure à l’état de fait accompli. Toute grande crise religieuse est précédée d’une période d’essais timides, où la pensée d’avenir s’agite en quelques âmes douces, et où les réformateurs, humbles encore, se soumettent à l’église, qui les condamne. Nous sommes à ce moment. La rupture de Lamennais a été un fait isolé, tenant à sa rudesse bretonne, toujours portée aux éclats, La docilité des Lacordaire et des Montalembert résistera à toutes les épreuves. Mesurons l’espace qui s’écoule de Joachim.de Flore à Luther, en passant par Pierre-Jean d’Olive, Tauler, Conecte, Savonarole : nous aurons l’espace de temps qu’il faut pour faire d’un saint un hérésiarque. Il est vrai que les mouvemens de l’humanité sont en notre siècle fort accélérés ; mais la patience des âmes pieuses est longue : il faut au moins deux générations pour que Rosmini ou Montalembert soient les ancêtres d’un schismatique.

Une objection peut m’être adressée, et je dois la prévenir. « Vous voulez relever la religion, me dira-t-on, et vous cherchez à la soustraire à la régence de l’état ; mais vous ne voulez pas, d’un autre côté, qu’elle soit une puissance organisée, qui force l’état à compter avec elle : ne voyez-vous pas que vous l’abaissez, que, n’étant plus