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le spirituel ne constitue pas un pouvoir, il constitue une liberté. S’il y avait ici-bas un pouvoir spirituel, Grégoire VII aurait eu raison dans ses plus hardis paradoxes : le royaume des âmes eût été tout, le royaume des corps bien peu de chose. En réalité, le royaume des âmes n’existe que dans la région des âmes, c’est-à-dire dans le monde de l’idée pure. La liberté est limitée dans l’ordre matériel : le champ de mon voisin m’est interdit, cela est juste et nécessaire pour que le mien le soit à mon voisin ; mais mon voisin ne me fait aucun tort en ayant sur Dieu, le monde et la société les opinions qui lui semblent bonnes, car, en ayant ces opinions, il ne m’enlève rien du droit que j’ai d’en avoir de tout opposées. L’église, si l’on entend par ce mot un pouvoir armé d’autres moyens que ceux de la libre propagande, doit ainsi disparaître, non au profit de l’état, mais au profit de la liberté. Tant qu’il y aura un établissement officiel de la religion, il vaut mieux que les deux autorités soient distinctes que réunies ; mais l’idéal où il faut tendre est justement d’arriver au règne pur de l’esprit, non comme l’entendent les fanatiques et les sectaires, mais comme l’entendent les vrais libéraux, persuadés qu’une croyance n’a de prix que quand elle est acquise par une réflexion personnelle, qu’un acte religieux n’est méritoire que quand il est spontané.

C’est sans contredit le protestantisme qui est le plus près de cet idéal. Se dégageant peu à peu de ses liens avec l’état, le protestantisme arrive de nos jours à sa dernière conséquence, qui est l’organisation libre de la religion et l’union des chrétiens, non dans la lettre morte des symboles, mais dans la pure idée religieuse, telle que l’Évangile l’a pour la première fois exprimée. Sauf la réaction à demi ridicule représentée en Prusse par le parti de la croix, le protestantisme, en Angleterre, en France, en Hollande, en Suisse, accomplit chaque jour en cette voie de sensibles progrès. Les églises réformées de France en particulier traversent une crise dont l’issue intéresse au plus haut degré le philosophe et l’homme religieux. Obligées de se serrer pour résister, ces églises étaient restées jusqu’à ces dernières années renfermées dans les étroits symboles du calvinisme. La largeur en religion est le fruit d’une longue paix. Ce n’est pas à des fils de martyrs qu’il faut demander de critiquer les symboles pour lesquels leurs pères ont souffert. Les formules larges ne savent pas se défendre et ne saisissent pas assez l’homme tout entier pour faire endurer cent cinquante ans de proscriptions. Le protestantisme français demandait ainsi à être jugé non par ce qu’il était devenu sous le coup d’odieuses persécutions, mais par ce qu’il eût été s’il fût resté libre. Un demi-siècle de liberté a suffi pour le rendre à sa direction naturelle. Dès l’époque de la restauration, un pasteur de Nîmes, Samuel Vincent, quoique connaissant peu encore