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l’état ; de l’autre, il ne pourra pas défendre son établissement central : il restera à l’état de puissante association libre, reposant sur une force morale répandue partout. Ce jour-là l’église réclamera la liberté avec une ardente bonne foi, et elle lui rendra de grands services, car elle en aura besoin. J’espère qu’aucun vrai libéral ne lui rappellera avec ironie le temps où elle s’arrogeait le droit divin de régner, où elle traitait tout dissident de rebelle, et repoussait l’égalité des droits comme une injure à la vérité.

A Dieu ne plaise que je semble jamais méconnaître la grandeur du catholicisme et la part qui lui revient dans la lutte que soutient notre pauvre espèce contre les ténèbres et le mal ! Que de bien jaillit encore au sein des eaux troublées de cette fontaine intarissable, où l’humanité a bu si longtemps la vie et la mort ! Même en cet âge de décadence, et malgré des fautes poussées à l’extrême avec une obstination sans égale, le catholicisme donne des preuves d’une étonnante vigueur. Quelle fécondité dans son apostolat de charité ! Que d’âmes excellentes parmi ces fidèles qui ne puisent à ses mamelles que le lait et le miel, laissant à d’autres l’absinthe et le fiel ! Comme à la vue de ces tentes rangées dans la plaine, et au milieu desquelles se promène encore Jéhovah, on est tenté, avec le prophète infidèle, de bénir celui qu’on voulait maudire et de s’écrier : « Que tes pavillons sont beaux ! que tes demeures sont charmantes ! » Malgré les limites obligées que le catholicisme pose à certains côtés du développement intellectuel, combien d’esprits, qui sans les fondations religieuses seraient restés ensevelis dans la vulgarité ou l’ignorance, lui doivent leur éveil ! Où trouver quelque chose de plus vénérable que Saint-Sulpice, cette image vivante des anciennes mœurs, cette école de conscience et de vertu, où l’on donne la main à François de Sales, à Vincent de Paul, à Fénelon ? Même dans cette association, parfois un peu niaise, entre le catholicisme et les débris de la vieille société française, dans ce néo-catholicisme souvent affadi, que de distinction encore ! quelle atmosphère pure et honnête ! quel effort naïf vers le bien ! Ah ! gardons-nous de croire que Dieu a quitté pour toujours cette vieille église. Elle rajeunira comme l’aigle, elle reverdira comme le palmier ; mais il faut que le feu l’épure, que ses appuis terrestres se brisent, qu’elle se repente d’avoir trop espéré en la terre, qu’elle efface de son orgueilleuse basilique : Christus regnat, Christus imperat, qu’elle ne se croie pas humiliée quand elle occupera dans le monde une position qui ne sera grande qu’aux yeux de l’esprit.


IV

Le monde sera éternellement religieux, et le christianisme, dans un sens large, est le dernier mot de la religion. — Le christianisme