Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la superstition. » L’erreur de la France est en général de croire qu’on peut suppléer à la libre spontanéité des âmes par des institutions bien combinées. Un barbarisme affreux, moraliser, est devenu un mot français. Partant de l’idée qu’une nation est heureuse dès qu’elle a un bon code et une bonne administration, n’accordant à l’individu qu’un seul droit, celui de s’amuser à son aise, sans idées, sans opinions, sans rien, de ce qui dérange un bonheur vulgaire, les politiques qui tirèrent les dernières conséquences de la révolution devaient être amenés à regarder les croyances religieuses comme un mal inévitable, qu’il faut restreindre et légiférer par de sages règlemens. Mais l’humanité a trop de feu dans le sang pour se contenter d’un éden de bourgeois heureux, s’amusant par escouades, vivant et mourant par habitude, croyant par décret. Le sentiment religieux prendra sa revanche ; les cultes aimeront mieux les périls de la liberté qu’une protection obtenue au détriment de ce qu’ils ont de plus cher, le droit de se combattre et de croire qu’ils ne relèvent que d’eux-mêmes et de la vérité.

En somme, le système des églises nationales nous semble avoir peu d’avenir. La conception étroite de la vérité, qu’il suppose est contraire à la tendance de l’esprit français vers un idéal universel et commun à tous. Il faut l’optimisme patriotique de l’Anglais pour s’imaginer que l’église de son île doit être la meilleure, parce qu’elle est la sienne. Le sentiment religieux vise de plus en plus à tenir peu de compte des fleuves et des montagnes. Une administration centrale, telle qu’est la cour de Rome, sera d’ailleurs bien plus accessible à certaines idées de progrès que de petites églises dominées par une incurable routine. Rome jusqu’au XVIIIe siècle a joué dans le catholicisme le rôle d’une capitale plus éclairée que les provinces. Bérenger, Abélard, Roger Bacon ont trouvé plus d’appui ou de tolérance dans la papauté que dans les autorités ecclésiastiques locales. Aucune église locale a-t-elle contribué à la renaissance comme le pontificat romain du XVe et du XVIe siècle ? Quel temps que celui où la découverte d’un auteur latin conduisait à la papauté ou au cardinalat ! Qu’on songe à l’incomparable largeur d’esprit que supposent des papes comme Thomas de Sarzane, AEneas Sylvius, Jules II, Léon X, des secrétaires apostoliques comme le Pogge, l’Arétin (Leonardo Bruni), Bembo, Sadolet ! Au XVIIIe siècle même, aucune église nationale ne possédait un Benoît XIV correspondant de Voltaire, un Clément XIV, un Passionei, un Etienne Borgia. La papauté, bénéficiant des rares qualités de l’esprit italien, de son tact, de son habileté, de sa science pratique de la vie, a eu en somme un horizon plus étendu qu’aucune église locale. Si de nos jours il n’en est plus ainsi, c’est que la Rome papale n’est plus un centre italien. Des néo-catholiques français, des Belges, des Irlandais, y font la mode,