Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas la prétention de s’exercer au nom de la vérité, le christianisme occidental fut donc en réalité au moyen âge une religion armée, violente, impérieuse, ne souffrant pas de discussion. Un tel système valait mieux pour la moralité générale de l’espèce humaine que le système romain, où l’état faisait la religion, et que le système musulman, où la religion fait l’état ; mais en réalité il était le plus cruel de tous : il fit de l’Europe latine au XIIIe et au XVIe siècle un champ de tortures ; il était en flagrante contradiction avec les principes élevés dont l’Évangile gardait le secret. Une protestation sortie des entrailles mêmes du christianisme éclate au XVIe siècle, un troisième type de société chrétienne se constitue et annonce la prétention de revenir à la primitive liberté. Certes il s’en faut que cette prétention fût dès lors justifiée : le protestantisme, outre beaucoup d’actes de violence qu’il eut à se reprocher, put sembler d’abord n’être que le retour à des idées moins pures sur les rapports de l’église et de l’état. Le luthéranisme mit la théologie dans la main des princes allemands ; le calvinisme, dans sa cité idéale de Genève, fonda la république sur la religion. En Angleterre, en Suède, la réforme officielle n’aboutit qu’à des églises nationales absolument dépendantes du pouvoir civil. Néanmoins le principe nouveau, qui était l’âme cachée du mouvement, l’idée d’un christianisme libre que chacun crée et porte dans son cœur, se dégage peu à peu. Les sectes dissidentes dans le sein de la réforme, presque aussi vivement persécutées par les églises protestantes officielles qu’elles l’eussent été par les catholiques, maintiennent et propagent cette idée avec une admirable ténacité. De nos jours elle éclate et triomphe sur tous les points du monde protestant. Une foule de sociétés chrétiennes, n’ayant aucun lien ni avec une église centrale ni avec l’état, existent et fructifient. L’Amérique nous présente ce système érigé en loi constitutionnelle. Ainsi le protestantisme, après trois siècles d’hésitation, arrive à réaliser le programme dont il avait prématurément annoncé l’accomplissement. Il est revenu vraiment à la liberté des premiers siècles, dont toute trace avait disparu depuis le jour où Constantin commença à s’occuper de théologie.

Église libre, comme dans les trois premiers siècles, comme de nos jours en Amérique ; — église dépendante de l’état, comme en Russie, comme en Suède ; — église séparée de l’état, centralisée à Rome et traitant avec l’état de puissance à puissance, comme dans les pays catholiques : telles sont donc les trois formes sous lesquelles le christianisme s’est mis en rapport avec les sociétés humaines. Voyons laquelle de ces trois formes semble le mieux se prêter aux tendances de la pensée moderne vers un idéal de liberté, de douceur de mœurs, d’instruction et de moralité.