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consciences qu’il porte le fer et le feu : de là des attaques dont la vivacité ne connaît pas de limites. L’empire romain n’a pas persécuté un seul philosophe ; le moyen âge chrétien a étouffé la liberté de la pensée par d’atroces supplices. Des souverains que l’église a tenus pour des modèles apparaissent aux yeux de l’histoire impartiale comme d’impitoyables bourreaux. Je ne prendrai pas pour exemple Philippe II, qui fut à la fois un tyran religieux et un tyran politique, un vrai Domitien. Je prendrai le plus honnête homme peut-être qui ait régné, un vrai libéral, un souverain qui respecta tous les droits, et dont la bonté de cœur n’a pas été surpassée : saint Louis est en religion un terrible persécuteur, Il est si convaincu de la vérité de sa croyance qu’il pose en principe que l’homme laïque ne doit répondre aux objections qu’il entend faire contre la foi qu’en perçant le ventre de celui qui les fait[1], et qu’il laisse sans le moindre scrupule l’horrible inquisition dominicaine décimer ses sujets par « l’immuration » et le bûcher en permanence. Dioclétien n’a pas fait cela ; on n’a pas vu sous Dioclétien un tribunal suivre contre les chrétiens une procédure aussi odieuse que celle qui est prescrite dans le Directorium Inquisitorum de Nicolas Eymeric[2]. Aucun proconsul romain n’a écrit un poème comme la Novelle de l’Hérétique, de l’inquisiteur Izarn, où chaque argument se termine par cette menace : « Et si tu ne le veux croire, vois le feu allumé où brûlent tes compagnons ! » ou bien : « Mais déjà s’appareillent le feu et le tourment par lequel tu dois passer[3]. » C’est en ce sens qu’il est permis de dire que la persécution théologique est dans le monde l’œuvre du christianisme. L’islamisme, bien plus dur en un sens, ne chercha jamais à convertir. Son intolérance est celle du dédain : il étouffe le chrétien, il le pille, le massacre dans ses momens de fureur ; mais il ne le prêche pas en lui offrant le choix entre ses syllogismes et le bûcher. Le christianisme, avec sa tendresse infinie pour les âmes, a créé le type fatal d’une tyrannie spirituelle et inauguré dans le monde cette idée redoutable, que l’homme a droit sur l’opinion de ses semblables. L’église ne se fit pas l’état, mais elle força l’état à persécuter pour elle. Si le bras séculier exécutait la sentence, le prêtre la prononçait.

En repoussant l’odieux des persécutions de l’empire, qui n’avaient

  1. Voyez Joinville, Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XX, p. 198.
  2. Les actes authentiques de ces horreurs, devant lesquelles palissent celles du tribunal révolutionnaire, sont encore en partie inédits. On peut lire les procès-verbaux de L’inquisition de Toulouse publiés par Limborch. Ceux de l’inquisition de Carcassonne sont à la Bibliothèque impériale ; Saint-Germain latin, 305 et suiv.. Le Directorium a été publié.
  3. Histoire littéraire de la France, t. XIX, p. 581.