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Laissons ces considérations d’un ordre profane, revenons à la conscience ; demandons à chacune des trois grandes communions chrétiennes par quel programme elle entend répondre aux exigences des sociétés modernes, et quel compromis elle peut offrir entre la tradition et les besoins nouveaux de l’esprit humain.


III

Le christianisme a pris dans les sociétés humaines trois positions qui répondent à peu près, quoique non d’une façon rigoureuse, aux trois familles que les races et l’histoire ont formées dans son sein. Pendant les trois cents ans de sa lutte première, le christianisme ne demanda naturellement rien à l’état ; il fit ses affaires à lui seul. Persécuté par l’état, il triompha à force de patience et força l’état à signer une paix qui, par un singulier retour, fut beaucoup plus onéreuse pour lui que pour l’état. Il semble qu’il soit dans la nature du christianisme de ne pouvoir être simplement libre et toléré. Dès qu’il n’est plus persécuté, il devient religion d’état. La machine romaine était si puissamment organisée que devenir la religion de l’état, c’était devenir une fonction de l’état. En effet, depuis Constantin, dans toutes les parties du monde qui suivent le sort du vieil empire, l’église est dominée par l’état. Les sièges épiscopaux suivent les divisions de l’empire ; l’évêque de Constantinople, siège si moderne, devient pape de l’Orient parce qu’il est l’évêque de la cour, à peu près comme si l’évêque de Versailles fût devenu primat des Gaules. L’église grecque, qui représente cette vieille tradition romano-byzantine, en a gardé la trace ineffaçable ; la Russie en a hérité, l’empereur y est chef absolu de la religion. Dans les communautés chrétiennes soumises à la Turquie, par un phénomène inverse, mais très logique, l’église est devenue l’état civil ; le patriarche est un administrateur civil autant que religieux nommé par le sultan. La religion est devenue la nationalité, ou pour mieux dire la formation de nationalités, dans le sens que nous attachons à ce mot, a été rendue impossible en Orient.

L’Occident eût, j’imagine, suivi la même ligne si l’unité de l’empire s’y fût maintenue. Le monde byzantin, dans sa décrépitude, nous représente au fond ce qu’eût été l’empire d’Occident sans les Barbares, un monde dénué de liberté et du sentiment de l’infini ; mais les Germains, en brisant l’empire et en fondant des royaumes distincts, créèrent pour l’église des conditions meilleures. Chacun de ces royaumes ne pouvant avoir la prétention de représenter l’église universelle, on fut amené à concevoir l’église et l’état comme deux choses distinctes, l’église relevant d’un ensemble plus étendu