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la religion lettrée de la Chine, ont été impuissans. Ce n’est pas vers le christianisme que l’Afrique semble se tourner ; à l’heure qu’il est, par une coïncidence singulière, elle se convertit d’un bout à l’autre à l’islamisme. Quant aux races sauvages, ces tristes survivans d’un monde en enfance, à qui l’on ne peut souhaiter qu’une douce mort, il y a presque dérision à leur appliquer nos formulaires dogmatiques. Avant d’en faire des chrétiens, il faudrait en faire des hommes, et il est douteux qu’on y réussisse. On style le pauvre Taïtien à aller à la messe ou au prêche ; on ne corrige pas l’irrémédiable mollesse de son cerveau, on le fait mourir de tristesse ou d’ennui. Oh ! laissez ces derniers fils de la nature s’éteindre sur le sein de leur mère ; n’interrompez pas de nos dogmes austères, fruit d’une réflexion de vingt siècles, leurs jeux d’enfans, leurs danses au clair de lune, leur douce ivresse d’une heure ! La grande erreur des jésuites, cette idée que l’éducation de l’homme se fait par le dehors, au moyen de procédés artificiels et de machines pieuses est au fond de toutes les missions. On crée des Paraguay, des joujoux d’enfant, et l’on croit faire revivre l’Eden !

Est-ce à dire que toute espérance d’agrandissement soit fermée pour le christianisme ? Non certes. Si nous prenons l’état géographique du christianisme vers l’an 1500 et si nous le comparons à ce qu’il est de nos jours, nous sommes frappés de ses vastes accroissemens ; mais ces accroissemens ne sont pas dus aux missions : ils sont dus à la propagation de la race européenne, en d’autres termes à la conquête et à la colonisation. La conquête et la colonisation renferment tout le secret de l’avenir du christianisme ; il faut voir laquelle des trois communions chrétiennes peut se promettre sous ce rapport les plus grands avantages.

On ne peut nier que le protestantisme ne se présente ici avec une certaine supériorité. Les nations colonisatrices sont presque toutes protestantes ; le protestantisme, par sa tendance individuelle, la simplicité de ses moyens, son peu de besoin de communier avec le reste de la chrétienté, semble par excellence la religion du colon. Avec sa Bible, l’Anglais trouve au fond de l’Océanie l’aliment religieux que le catholique ne peut recevoir sans tout un établissement officiel d’évêques et de prêtres. « Sur dix hommes, dit très bien M. Prévost-Paradol, qui, la hache et le fusil à la main, s’avancent dans des solitudes inexplorées, y établissent leur demeure et bientôt une cité, y fondent une famille et bientôt un état, un seul à peine appartient à l’église romaine, et le plus souvent, s’il n’en sort pas lui-même, il n’y maintient pas ses enfans[1]. » Aussi le protestantisme a-t-il bé

  1. On estime que, si les catholiques fui émigrent aux États-Unis étaient restés fidèles à leur culte, ils formeraient une population de 7,500,000 âmes ; or les États-Unis ne renferment que 2 millions de catholiques, malgré l’annexion du Texas et de la Californie.